jeudi 31 mai 2012

Petit break

Vous l'aurez sans doute remarqué, ça fait un petit moment que le blog tourne au ralenti, frein à main enclenché. Une bonne raison pour cela, c'est que mon temps de lecture s'est réduit drastiquement depuis quelques temps, que les livres que je choisis sont parfois de petits pavés (je pense à L'Iliade, dernièrement, ou Les Liaisons dangereuses actuellement), et que la lecture fractionnée n'aide pas à se concentrer sur la durée.

J'ai d'autres projets pour l'instant, ce qui ne m'empêche pas de tenir à ce blog. Je compte bien continuer l'aventure, mais pour l'instant j'ai d'autres priorités. Donc rassurez-vous, tout reviendra. Avec peut-être une autre section, qui sait ?

En tout cas je vous dis à bientôt !

mercredi 11 avril 2012

L'Apollonide - souvenirs de la maison close


Hier soir le vieillissant maître de l'Olympe, accablé et fourbu par des millénaires d'acrobaties sexuelles à l'exotisme parfois peu avouable, a décidé de faire un break et d'observer comment de simples mortels s'y prenaient en ces temps modernes pour assouvir leur soif de plaisir turgescent. Non ce n'était pas du porno, il s'agissait de L'Apollonide - souvenirs de la maison close, qui brode le destin d''un bordel à cheval sur les XIXème et XXème siècles.


L'Apollonide est un bordel parisien, plutôt chic si l'on en croit les dehors chatoyants. On y trouve la tenancière (« Madame »), les filles de joie, les habitués, ceux de passage, et les apprenties luronnes. La vie n'est pas rose ; c'est un bordel après tout, et la vie de Madeleine, surnommée La Juive, deviendra plus sombre encore le jour où un client lui élargira le sourire à coups de scalpel, l'éloignant définitivement des clients. Mais L'Apollonide menace aussi de fermer, et les filles craignent d'être revendues dans des bordels miteux.

C'est l'avis du Pendu (autrement connu sous le pseudonyme de Laurent Kloetzer IRL) qui m'a attiré vers ce film. Outre la présence de magnifiques donzelles, il y faisait mention d'un cachet esthétique particulièrement remarquable. De la bonne chair fraîche made in nymphe combinée à un septième ciel artistique, voilà de quoi satisfaire mes aspirations érotiques les plus pures !
Et pourtant il me faut faire mentir l'adage, il arrive que les grands esprits disent verge. Ou se disent pute, comme vous le sentez. Il faut cependant reconnaître au film de Bertrand Bonello une touche authentique qui nous fait plonger dans ces temps trépassés. C'est visuellement réussi, ça flatte la rétine de tous les côtés. On croit volontiers à ce lupanar abondant en dorures et drapés soyeux de même qu'on croit volontiers ce mobilier robuste et élégant ; on s'imagine aisément ces costumes riches en tissus et les hommes qui s'y insèrent.
Mais j'ai moins cru au reste.
Je n'ai pas ressenti cette émotion artistique qu'on éprouve en présence d'un chef d'oeuvre malgré les tentatives répétées. Je n'ai pas été sensible aux tableaux tragiques de ces putains, présentées comme des beautés de langueur funestes et malheureuses, avachies lascivement sur leurs sofas. Elles transpirent l'abandon, le renoncement de la vie, et même ainsi, magnifiées par les parures et les tentatives de plans obsédants, ce n'est que du vide multicolore qui m'est apparu, soutenu par une musique anachronique (j'opte pour du rock) dont je n'ai pas compris l'utilité. Soit que les dispositions n'y étaient pas (c'est bien connu, on n'est pas toujours au top, serions-nous le maître de l'Olympe), soit que tout simplement cette torpeur dépressive n'avait pas de quoi m'émouvoir.

Les photos me donneraient presque envie de revoir mon jugement

Car en ce qui me concerne le film manque d'impact, de punch ; on a l'impression de voir évoluer devant nous des personnages résignés, vidés. Les rares moments spontanés ne sont pas suffisamment capturés pour en retranscrire tout l'arôme. Ce n'est pas un reproche imputable uniquement à L'Apollonide, mais plutôt à la majorité des films français qui me semblent incapables de saisir la vie dans toute sa splendeur, son immédiateté et sa diversité. Une telle attaque mérite une défense, alors sachez que je suis le genre de gars à avoir été ému devant L'Homme qui murmurait à l'oreille des cheveux, entre autres. Pour continuer sur ma lancée, aucun destin ne m'a ému, aucun personnage ne m'a touché ; toutes ces prostituées m'apparaissent interchangeables et fadement dépeintes. Certaines scènes sont pourtant choquantes, mais là encore, quand on essaie de lire dans les yeux ce sentiment d'épouvante, tout au plus aperçoit-on un masque rigide qui semble joué et non pas vécu. Le jeu d'acteur n'est pourtant pas à revoir car les actrices remplissent leur part du contrat ; on ne peut leur demander d'étoffer d'elles-même des personnages sans grande histoire. Bertrand Bonello semble avoir préféré la dimension visuelle en exhibant à outrance poitrines et chattes touffues. On trouve peu de raffinement et d'élégance dans ces scènes, elles suscitent plus de dégoût que d'admiration. Et c'est ici que j'ai été grandement déçu. Ces filles comme ces scènes sont vulgaires, non pas grossières dans le sens où elles utilisent des jurons, mais banales, nues, sans l'artifice pétulant qui rehausse tout ce qui peut l'être, sans même un supplément d'âme, sans une touche fantaisiste qui s'amuserait avec les ficelles de nos émotions. Non le tragique est dépeint tel quel, sérieusement, et seuls quelques rares instants parviennent à s'en détacher avec plus ou moins de bonheur, comme ces plans tardifs avec La Juive.

Et plutôt deux fois qu'une...

Et pourtant le constat n'est pas si noir qu'il en a l'air. Le film choque parfois, froidement comme la fatalité implacable dont il semble habité, mais choque tout de même. Évidemment par ce côté abrupt et inattendu qui tranche quelquefois avec le ton terne, mais aussi par l'approche des pratiques sexuelles des habitués. Si du côté des pratiques je fais preuve d'une assez grande ouverture d'esprit, c'est la manière de les présenter qui m'a surpris. La froideur qui les enrobe ne les auréole pas du plaisir libératoire ; au contraire on y voir une forme de perversion, parfois sadique, de la part de ces hommes. De même, les réactions atones des filles qui se trouvent au confluent de réactions contradictoires sont plutôt déstabilisantes.

Mais voici le mot : atonie.

mardi 13 mars 2012

Des Milliards de tapis de cheveux - Andreas Eschbach

La réputation de ce livre a beaucoup fait pour m'attirer. De la SF onirique selon certains, de la SF inhabituelle pour les autres, quoiqu'il en soit Des Milliards de tapis de cheveux semblait ne laisser personne indifférent. A la base un petit événement, puisque l'ouvrage d'Andreas Eschbach fut le premier recueil de SF germanique à s'expatrier de sa contrée après une décennie de claustration forcée.


Sur une lointaine planète est établie depuis des millénaires un culte étrange. Des tisseurs doivent, leur vie durant, constituer un tapis qui sera accroché dans le palais de l'Empereur. Mais attention, pas n'importe quel tapis, un tapis réalisé uniquement à l'aide de cheveux que les tisseurs collectent sur leur femme et leurs concubines. Chaque réalisation doit assurer les conditions de vie nécessaires à la génération suivante, qui accomplira le même rituel indéfiniment.

Pourtant un jour la nouvelle se répand que l'empereur est mort, assassiné par des rebelles. Ce que les tisseurs nient formellement en bloc, malgré leur isolement pratiquement complet du reste du monde.

Car on s'en étonne rapidement, la société des tisseurs est un monde rustre, peu avancé, où la civilisation semble avoir rebroussé chemin. La seule trace de technologie semble résider dans ces vaisseaux étrangers qui parcourent l'univers. C'est un monde livré à lui-même dans de rudes conditions, où la religion prédomine massivement sur l'éducation, facteur totalement négligé (voire même craint, puisque l'éducation offre une ouverture d'esprit). Cela vaudra d'ailleurs des ennuis au protagoniste de la première nouvelle, Abron, notamment lorsqu'il s'intéressera au Vent silencieux, ouvrage proclamant la mort de l'empereur. On retrouvera plus tard cette dénonciation d'un monde barbare enclin à mépriser les arts lorsqu'un joueur de flûte à trois sera pourchassé pour avoir déserté.


Mais si on s'intéresse aux tisseurs on ne se concentre pas que sur leur art, on gravite autour d'eux en découvrant leur réseau, leur mode de vie, les mentalités qui y ont cours. C'est d'ailleurs le discours principal de la première moitié des nouvelles, qui voient peu d'incursions étrangères. Puis quand enfin Eschbach nous transporte au cœur de l'empire on assiste à de nouveaux événements qui amplifient considérablement l'intérêt. On y découvre alors les dessous des rumeurs, et après un chapitre en apothéose nous reprenons l'exploration de la (ou les?) galaxie qui suscitera d'inévitables questions. Pourquoi s'égare-t-on par ici ? Pourquoi cet intermède ? Mais surtout pourquoi aussi peu d'action ? C'est en effet un des principaux reproches que l'on fera à l'ouvrage, et c'est la raison qui m'aura fait faire un break de six mois. Car m'étant arrêté juste avant ce que je considère comme le point d'orgue du bouquin, je n'y voyais alors aucun intérêt. Les personnages sont certainement le point faible de l'ouvrage. Bien que l'auteur mêle différents profils, ces derniers peinent à retenir l'attention (on notera au passage que les personnages exposent leur quête d'eux-même, qu'ils se cherchent. Serait-ce la part de l'auteur ?) ; leur mollesse va de concert avec le rythme langoureux de la narration.

Qu'il ne se passe pas grand chose n'est pas un problème en soi, je ne suis pas un inconditionnel de l'action et il y a bien d'autres choses intéressantes à côté. Le souci se pose lorsque l'auteur ne parvient pas à faire oublier ce fait. Et c'est dommage parce que l'univers d'Andreas Eschbach est intéressant à de multiples points de vue. Beaucoup ont noté les passages de descriptions 'oniriques', voire ''poétiques'', et c'est une chose extrêmement appréciable dans un genre que l'on réduit trop souvent à la simple mécanique grandiloquente de vaisseaux spatiaux (quoiqu'ici les carlingues intersidérales ne sont évoquées qu'à de rares moments), et s'il me faut reconnaître que certains passages rehaussent la qualité de l'ouvrage, je dois avouer n'avoir pas toujours été conquis (forcément, quand on passe après Hugo, Baudelaire ou Apollinaire, la tâche est rude, d'autant plus après traduction !). De même la description de l'empire, malgré sa brièveté, soulèvera certaines questions d'ordre éthique et philosophique.

Et pourtant, arrivée la fin on se dit que mine de rien Eschbach avait son idée bien en tête, que rien n'était dû au hasard. On regrettera pourtant certains passages qui pourront sembler inutile, le recours à l'intertextualité étant omniprésent dans le recueil. Certainement dans le soucis de tisser un canevas indéfectible, son tapis de cheveux personnel, l'auteur s'est échiné à mettre chaque élément en relation avec un aspect de l'histoire, quitte pour cela à dérouter le lecteur et l'immerger – sans le noyer – dans des faits parfois écartés du sujet, comme le récit sur la station spatiale, peu intéressant et cliché (voire même très stupide), mais dont la fin touche quand même la corde sensible du lecteur malgré la sensation de déjà vu.

Bref, Des Milliards de tapis de cheveux est un ouvrage discordant au sein du space opera. On lui reprochera avant tout sa mollesse intrinsèque, tant dans les personnages que dans le rythme. Peinant à retenir l'attention, cet ouvrage n'est pourtant pas dénué de qualités, et on retiendra surtout son angle d'attaque original qui tient à l'occasion un discours sur la nature humaine, mais qui interroge également sur les systèmes de gouvernance. Finalement on parcourt ce recueil comme on fait une randonnée : l'intérêt croît au bout d'un moment pour grimper en flèche, puis se casse la gueule sur la descente tandis que nous continuons, absorbés par la vitesse.


CITRIQ
A voir chez Lorkhan, Ryuuchan,Spooky, Calenwen, Tigger Lilly, Arutha

samedi 4 février 2012

Watchmen, film et comic


Certaines oeuvres marquent leur temps d'une empreinte indélébile, tel est le cas de Watchmen, comics célébrissime entre tous, réalisé par Alan Moore et Dave Gibbons entre 1986 et 1987. Les prix affluèrent lors de la parution, et Watchmen fut le premier comics à recevoir le prestigieux prix Hugo qui continue de nos jours à récompenser les meilleures oeuvres de science-fiction. A travers une uchronie prenant racine en pleine guerre froide, Alan Moore et Dave Gibbons mettaient en scène une bande de justiciers masqués , communément appelés super-héros mais dénués de tout pouvoir surhumain, à l'exception du Docteur Manhattan, véritable entité semi-divine. La loi Keene les a forcé à se ranger et à dévoiler leur identité, seul Rorshach a décidé de persévérer dans l'illégalité tandis que le comédien a conservé l'anonymat en travaillant pour le gouvernement américain. Cette bande de justiciers à la retraite, pour la plupart, n'est que la seconde génération d'un mouvement vieux d'une vingtaine d'années, mais leur organisation n'étant plus adaptée au monde actuel et au crime organisé, elle n'a fait que péricliter au fil du temps. Ainsi, en pleine guerre froide, le comédien est assassiné ; Docteur Manhattan s'exile sur Mars après avoir été accusé de provoquer le cancer chez ses proches. Rorshach mène alors l'enquête, voyant dans ces disparitions des super-héros un tueur de masques, alors que l'Amérique, privée de son arme ultime – Docteur Manhattan -, voit le spectre de la Troisième Guerre Mondiale se matérialiser dangereusement.



La version définitive de Watchmen est relativement dense, elle se compose de 12 volumes de 28 pages chacun, sans compter quatre pages d'interludes entre chaque épisode qui, à travers divers témoignages ou coupures de presses fictifs, contribuent à crédibiliser ce monde uchronique. Cet univers alternatif possède donc une forte identité, évidemment axée sur ses relations avec le monde des minutemen et leurs successeurs, tissée sans relâche au fil de l'ouvrage. Cette densité « historique » en un sens, s'allie à des dimension psychologique et narrative extrêmement poussées qui surent conquérir la critique et les lecteurs. On pourrait résumer la chose en affirmant que les codes de la bande dessinée sont ici poussés à leur paroxysme, où la narration s'imbrique et se dilue dans plusieurs plans qui assurent de multiples niveaux de lectures.

C'est pourquoi lorsque Zack Snyder, avec comme carte de visite les adaptations de 300 et Sin City, décide de porter Watchmen à l'écran, des craintes légitimes peuvent apparaître dans le camp des amateurs de l'oeuvre de Moore et Gibbons. Si la question de la métamorphose de l'oeuvre lorsqu'elle outrepasse son média original survient en premier, une seconde se pose juste après. Comment restituer à l'écran, avec tout le respect possible, la profondeur magistrale du comics ? Quels moyens utiliser pour retranscrire sur un média différent les astuces narratives qui confèrent son statut d'oeuvre culte au comics ? Mais surtout, était-ce possible ? Telles sont les questions auxquelles Zack Snyder se devait de répondre.

Le film débute sur une présentation succincte du contexte : on comprend que la guerre froide bat son plein, mais que le Docteur Manhattan est un rempart inébranlable contre l'armée rouge. L'entame est suivie de près par un générique assez longuet et punchy (je reviendrai sur la bande son plus tard), qui tente de présenter en quelques images le destin de la première génération des minutemen. Ce passage parle évidemment aux spectateurs avertis, mais je doute que le néophyte y capte grand chose. On assiste ensuite à l'entrée en matière à proprement parler, qui nous relate l'épisode de la découverte du cadavre du Comédien, comme dans le comics. D'ailleurs, et on s'en apercevra très rapidement, tout le long-métrage ou presque respectera à la lettre l'oeuvre originale dans le déroulement de la trame.

Ce qui saute rapidement aux yeux, c'est la volonté de respecter la trame d'origine. A l'exception de l'introduction qui présente plus clairement la situation que dans le comics, le film opte pour un déroulement pratiquement identique à ce qu'ont réalisé Moore et Gibbons, aux dialogues près par moments. Certains ajustements sont bien entendu de mise, comme par exemple quelques raccords entre différentes parties pour les fondre en une seule et unique afin de ne pas défigurer l'histoire de base. D'autres passages, comme celui si contesté car non compris de la bande dessinée parallèle – à la fois hommage à Max Shea, aux comics de pirates, et élément aux multiples niveaux de lecture – ont carrément été zappé. Si le fan pourra être déçu de ce parti pris (le fan exige souvent l'impossible, donc le meilleur), nul doute que le public néophyte y gagnera en compréhension. On déplorera également la perte de la déchéance des justiciers masqués au fil du temps, confrontés à un monde en évolution, où s'ancrait une analyse des super-héros de l'âge d'or et de leurs successeurs à l'âge d'argent. De fait, pour l'amateur de la première ou de la deuxième heure, le film a des allures de déjà-vu (je conçois que ce soit logique) et l'enchainement semble extrêmement rapide, à l'encontre même du comics qui prenait un temps incroyable à dévoiler ses cartes. Une des conséquences se manifestant dans l'absence de passages alternant différentes scènes (Dreidberg et Juspeczyk marchant dans la rue, en parallèle la première conquête de Docteur Manhattan interviewée, si mes souvenirs sont bons) qui ôte au film la dimension psychologique poussée à un niveau extrême dans le comics, de même que la disparition des idées de l'auteur et du niveau de lecture. Quant à la conservation de certaines scènes « de classe », telle que l'adieu aux serviteurs d'Ozymandias lors du dénouement, elles ne possèdent pas le même cachet en raison des brièvetés des scènes auxquelles il manque des longueurs pour livrer tout leur nectar. La synthèse de ces scènes ne rend pas hommage au génie narratif des auteurs, à ce sentiment d'horlogerie savamment orchestrée, et, il fallait s'y attendre, aucun palliatif ne vient combler la brèche. Quant au noeud gordien final, il importe finalement peu qu'il diffère du comics ; à vrai dire il se tient assez bien et montre en ce sens que les scénaristes hollywoodiens ont bien intégré l'histoire. J'ai pourtant trouvé ce remaniement moins dantesque que l'original.

Notons également la présence des scènes de baston, plus nombreuses et plus spectaculaires que Moore et Gibbons l'avaient voulu. Le tape à l'oeil est de mise avec la combinaison des combats qui évoquent les techniques du Dark Knight, et des ennemis qui virevoltent sous les coups et des ralentis qui rappellent Matrix.


Les personnages eux aussi apparaissent transformés. Si en surface ils semblent identiques à leurs homologues papier, on constatera au long du film qu'aucun ne possède véritablement l'essence de l'original, ce qu'un jeu d'acteurs très pauvre ne parviendra pas à relever (mention spéciale à l'huître féminine qui incarne Laurie Juspeczyk). Il faudra noter que beaucoup des personnages secondaires sont reconnaissables, à l'instar du journaliste qui interviewe Docteur Manhattan avant qu'il ne s'exile.

  • Le personnage de Rorschach m'a vraiment choqué. L'image que je me faisais de lui, image exacerbée lorsqu'il porte son masque, est celle d'un homme révolté et puissant mais disposant d'un énorme self-contrôle qui lui confère calme et dignité. Rien qu'à travers sa voix, le film le transforme en sorte de bête enragée, où l'instinct belliqueux n'est plus régi par une discipline mentale en acier ; on le sent au contraire soumis à ses pulsions telle une bête enragée. Sûrement la plus grande déception de ce film ;
  • Le Docteur Manhattan est lui présenté trop condescendant. Dans l'idée il n'est pas impossible qu'une entité supérieure évoluant parmi de simples mortels adopte cette attitude, mais le semi-divin lapis-lazuli d'origine évoque beaucoup plus un demi-dieu froid, lointain et inflexible. La remarque d'Ozymandias (dans le film) lorsqu'il évoquera les émotions du Docteur Manhattan vaut paradoxalement davantage pour le personnage du comics ;
  • Le Comédien pourrait sembler très proche de son modèle, pourtant certaines dissemblances l'en éloignent. On le sent moins bourru et plus affable, il cache moins bien son humanité derrière un mépris moins convaincant, et son goût pour la farce n'est pas porté à son paroxysme ;
  • L'émule d'Alexandre le Grand est lui aussi surprenante. Si dans le comics Ozymandias apparait comme un homme viril et athlétique, le film le métamorphose en blondinet presque gringalet et bercé d'arrogance ;
  • Laurie Juspeczyk apparait à certains moments comme une grande adolescente et n'est clairement pas servie par Malin Akerman ;
  • Finalement c'est Dan Dreidberg qui colle au plus près de son modèle.

 



Mais que serait Watchmen sans la patte graphique de Dave Gibbons, si sujette à débats, avec ses couleurs bigarrées et tranchées combinées à un aspect très géométrique, très carré ? Il n'était évidemment pas question de reproduire les alternances de couleur d'une scène à l'autre, comme l'a fait Gibbons, mais globalement cette Amérique uchronique se rapproche visuellement de son modèle original. Les costumes des justiciers, s'ils restent dans la même veine, se voient modernisés et perdent au passage l'aspect kitsch du comics que j'aime bien. Et ceux des personnages féminins perdent aussi de la matière, dévoilant davantage les charmes des dames quitte à verser dans le vulgaire (portes-jarretelles et jupes plus légèrement courtes ; déjà que c'était peu chaste à la base...).

Quant à la bande son, elle dissone clairement de la sobriété, voire de l'austérité, du comics. Son soutien transforme le ton original. La scène de l'enterrement du comédien en fournit un bon exemple. Alors que dans le comics ce moment est propice à la nostalgie et au recueillement (et à une pichenette anti-américaine), le film en fait une scène presque remplie d'allégresse à l'aide d'un titre – remixé – dont le nom ne me revient pas.


L'impression globale qui ressort du film est la volonté de respecter l'oeuvre originale, que l'on retrouve à beaucoup de niveaux. Mais en grattant la surface, on s'aperçoit que la transposition pure et simple des événements ne parvient pas à rendre l'essence si concentrée du comics. Là où Moore et Gibbons avaient pris le parti de présenter toute une mécanique de subtilité assimilable à une certaine froideur, le film, de par ses contraintes avant tout mais aussi du choix de la mise en scène et des intervenants, outrepasse justement cette pudeur, tant narrative que psychologique, certainement dans une optique de divertissement accessible au plus grand nombre. Watchmen se voit donc vidé d'une grande part de sa substance, Snyder se concentrant majoritairement sur le visible et le palpable, enrobant le tout dans un bonbon très hollywoodien. Soit que le réalisateur américain n'a pas eu l'envie de réaliser une adaptation digne de ce nom, soit qu'il s'est vu de suite submergé par l'ampleur de la tâche. Mais qu'on ne se méprenne pas, le film n'est pas mauvais en lui-même ; on se surprend à se prendre au jeu quitte à voir le soufflet retomber peu après : seulement Watchmen ne resplendit pas.

Je me demande si une série TV n'aurait pas été un format plus adapté...




L'article de Spooky sur le film, et un joli dossier sur Watchmen avec Plan 9.