Hier soir le vieillissant maître de
l'Olympe, accablé et fourbu par des millénaires d'acrobaties
sexuelles à l'exotisme parfois peu avouable, a décidé de faire un
break et d'observer comment de simples mortels s'y prenaient en ces
temps modernes pour assouvir leur soif de plaisir turgescent. Non ce n'était pas du porno, il s'agissait de L'Apollonide - souvenirs de la maison close, qui brode le destin d''un bordel à cheval sur les XIXème
et XXème siècles.
L'Apollonide
est un bordel parisien, plutôt chic si l'on en croit les dehors
chatoyants. On y trouve la tenancière (« Madame »), les
filles de joie, les habitués, ceux de passage, et les apprenties
luronnes. La vie n'est pas rose ; c'est un bordel après tout,
et la vie de Madeleine, surnommée La Juive, deviendra plus sombre
encore le jour où un client lui élargira le sourire à coups de
scalpel, l'éloignant définitivement des clients. Mais L'Apollonide
menace aussi de fermer, et les filles craignent d'être revendues
dans des bordels miteux.
C'est l'avis du Pendu (autrement connu
sous le pseudonyme de Laurent Kloetzer IRL) qui m'a attiré vers ce
film. Outre la présence de magnifiques donzelles, il y faisait
mention d'un cachet esthétique particulièrement remarquable. De la
bonne chair fraîche made in nymphe combinée à un septième ciel
artistique, voilà de quoi satisfaire mes aspirations érotiques les
plus pures !
Et pourtant il me faut faire mentir
l'adage, il arrive que les grands esprits disent verge. Ou se disent
pute, comme vous le sentez. Il faut cependant reconnaître au film de
Bertrand Bonello une touche authentique qui nous fait plonger dans
ces temps trépassés. C'est visuellement réussi, ça flatte la
rétine de tous les côtés. On croit volontiers à ce lupanar
abondant en dorures et drapés soyeux de même qu'on croit volontiers
ce mobilier robuste et élégant ; on s'imagine aisément ces
costumes riches en tissus et les hommes qui s'y insèrent.
Mais j'ai moins cru au reste.
Je n'ai pas ressenti cette émotion
artistique qu'on éprouve en présence d'un chef d'oeuvre malgré les
tentatives répétées. Je n'ai pas été sensible aux tableaux
tragiques de ces putains, présentées comme des beautés de langueur
funestes et malheureuses, avachies lascivement sur leurs sofas. Elles
transpirent l'abandon, le renoncement de la vie, et même ainsi,
magnifiées par les parures et les tentatives de plans obsédants, ce
n'est que du vide multicolore qui m'est apparu, soutenu par une
musique anachronique (j'opte pour du rock) dont je n'ai pas compris
l'utilité. Soit que les dispositions n'y étaient pas (c'est bien
connu, on n'est pas toujours au top, serions-nous le maître de
l'Olympe), soit que tout simplement cette torpeur dépressive n'avait
pas de quoi m'émouvoir.
Car en ce qui me concerne le film
manque d'impact, de punch ; on a l'impression de voir évoluer
devant nous des personnages résignés, vidés. Les rares moments
spontanés ne sont pas suffisamment capturés pour en retranscrire
tout l'arôme. Ce n'est pas un reproche imputable uniquement à
L'Apollonide, mais plutôt à la majorité des films français
qui me semblent incapables de saisir la vie dans toute sa splendeur,
son immédiateté et sa diversité. Une telle attaque mérite une
défense, alors sachez que je suis le genre de gars à avoir été
ému devant L'Homme qui murmurait à l'oreille des cheveux,
entre autres. Pour continuer sur ma lancée, aucun destin ne m'a ému,
aucun personnage ne m'a touché ; toutes ces prostituées
m'apparaissent interchangeables et fadement dépeintes. Certaines
scènes sont pourtant choquantes, mais là encore, quand on essaie de
lire dans les yeux ce sentiment d'épouvante, tout au plus
aperçoit-on un masque rigide qui semble joué et non pas vécu. Le
jeu d'acteur n'est pourtant pas à revoir car les actrices
remplissent leur part du contrat ; on ne peut leur demander
d'étoffer d'elles-même des personnages sans grande histoire.
Bertrand Bonello semble avoir préféré la dimension visuelle en
exhibant à outrance poitrines et chattes touffues. On trouve peu de
raffinement et d'élégance dans ces scènes, elles suscitent plus de
dégoût que d'admiration. Et c'est ici que j'ai été grandement
déçu. Ces filles comme ces scènes sont vulgaires, non pas
grossières dans le sens où elles utilisent des jurons, mais
banales, nues, sans l'artifice pétulant qui rehausse tout ce qui
peut l'être, sans même un supplément d'âme, sans une touche
fantaisiste qui s'amuserait avec les ficelles de nos émotions. Non
le tragique est dépeint tel quel, sérieusement, et seuls quelques
rares instants parviennent à s'en détacher avec plus ou moins de
bonheur, comme ces plans tardifs avec La Juive.
Et pourtant le constat n'est pas si
noir qu'il en a l'air. Le film choque parfois, froidement comme la
fatalité implacable dont il semble habité, mais choque tout de
même. Évidemment par ce côté abrupt et inattendu qui tranche
quelquefois avec le ton terne, mais aussi par l'approche des
pratiques sexuelles des habitués. Si du côté des pratiques je fais
preuve d'une assez grande ouverture d'esprit, c'est la manière de
les présenter qui m'a surpris. La froideur qui les enrobe ne les
auréole pas du plaisir libératoire ; au contraire on y voir
une forme de perversion, parfois sadique, de la part de ces hommes.
De même, les réactions atones des filles qui se trouvent au
confluent de réactions contradictoires sont plutôt déstabilisantes.
Mais voici le mot : atonie.