mercredi 11 avril 2012

L'Apollonide - souvenirs de la maison close


Hier soir le vieillissant maître de l'Olympe, accablé et fourbu par des millénaires d'acrobaties sexuelles à l'exotisme parfois peu avouable, a décidé de faire un break et d'observer comment de simples mortels s'y prenaient en ces temps modernes pour assouvir leur soif de plaisir turgescent. Non ce n'était pas du porno, il s'agissait de L'Apollonide - souvenirs de la maison close, qui brode le destin d''un bordel à cheval sur les XIXème et XXème siècles.


L'Apollonide est un bordel parisien, plutôt chic si l'on en croit les dehors chatoyants. On y trouve la tenancière (« Madame »), les filles de joie, les habitués, ceux de passage, et les apprenties luronnes. La vie n'est pas rose ; c'est un bordel après tout, et la vie de Madeleine, surnommée La Juive, deviendra plus sombre encore le jour où un client lui élargira le sourire à coups de scalpel, l'éloignant définitivement des clients. Mais L'Apollonide menace aussi de fermer, et les filles craignent d'être revendues dans des bordels miteux.

C'est l'avis du Pendu (autrement connu sous le pseudonyme de Laurent Kloetzer IRL) qui m'a attiré vers ce film. Outre la présence de magnifiques donzelles, il y faisait mention d'un cachet esthétique particulièrement remarquable. De la bonne chair fraîche made in nymphe combinée à un septième ciel artistique, voilà de quoi satisfaire mes aspirations érotiques les plus pures !
Et pourtant il me faut faire mentir l'adage, il arrive que les grands esprits disent verge. Ou se disent pute, comme vous le sentez. Il faut cependant reconnaître au film de Bertrand Bonello une touche authentique qui nous fait plonger dans ces temps trépassés. C'est visuellement réussi, ça flatte la rétine de tous les côtés. On croit volontiers à ce lupanar abondant en dorures et drapés soyeux de même qu'on croit volontiers ce mobilier robuste et élégant ; on s'imagine aisément ces costumes riches en tissus et les hommes qui s'y insèrent.
Mais j'ai moins cru au reste.
Je n'ai pas ressenti cette émotion artistique qu'on éprouve en présence d'un chef d'oeuvre malgré les tentatives répétées. Je n'ai pas été sensible aux tableaux tragiques de ces putains, présentées comme des beautés de langueur funestes et malheureuses, avachies lascivement sur leurs sofas. Elles transpirent l'abandon, le renoncement de la vie, et même ainsi, magnifiées par les parures et les tentatives de plans obsédants, ce n'est que du vide multicolore qui m'est apparu, soutenu par une musique anachronique (j'opte pour du rock) dont je n'ai pas compris l'utilité. Soit que les dispositions n'y étaient pas (c'est bien connu, on n'est pas toujours au top, serions-nous le maître de l'Olympe), soit que tout simplement cette torpeur dépressive n'avait pas de quoi m'émouvoir.

Les photos me donneraient presque envie de revoir mon jugement

Car en ce qui me concerne le film manque d'impact, de punch ; on a l'impression de voir évoluer devant nous des personnages résignés, vidés. Les rares moments spontanés ne sont pas suffisamment capturés pour en retranscrire tout l'arôme. Ce n'est pas un reproche imputable uniquement à L'Apollonide, mais plutôt à la majorité des films français qui me semblent incapables de saisir la vie dans toute sa splendeur, son immédiateté et sa diversité. Une telle attaque mérite une défense, alors sachez que je suis le genre de gars à avoir été ému devant L'Homme qui murmurait à l'oreille des cheveux, entre autres. Pour continuer sur ma lancée, aucun destin ne m'a ému, aucun personnage ne m'a touché ; toutes ces prostituées m'apparaissent interchangeables et fadement dépeintes. Certaines scènes sont pourtant choquantes, mais là encore, quand on essaie de lire dans les yeux ce sentiment d'épouvante, tout au plus aperçoit-on un masque rigide qui semble joué et non pas vécu. Le jeu d'acteur n'est pourtant pas à revoir car les actrices remplissent leur part du contrat ; on ne peut leur demander d'étoffer d'elles-même des personnages sans grande histoire. Bertrand Bonello semble avoir préféré la dimension visuelle en exhibant à outrance poitrines et chattes touffues. On trouve peu de raffinement et d'élégance dans ces scènes, elles suscitent plus de dégoût que d'admiration. Et c'est ici que j'ai été grandement déçu. Ces filles comme ces scènes sont vulgaires, non pas grossières dans le sens où elles utilisent des jurons, mais banales, nues, sans l'artifice pétulant qui rehausse tout ce qui peut l'être, sans même un supplément d'âme, sans une touche fantaisiste qui s'amuserait avec les ficelles de nos émotions. Non le tragique est dépeint tel quel, sérieusement, et seuls quelques rares instants parviennent à s'en détacher avec plus ou moins de bonheur, comme ces plans tardifs avec La Juive.

Et plutôt deux fois qu'une...

Et pourtant le constat n'est pas si noir qu'il en a l'air. Le film choque parfois, froidement comme la fatalité implacable dont il semble habité, mais choque tout de même. Évidemment par ce côté abrupt et inattendu qui tranche quelquefois avec le ton terne, mais aussi par l'approche des pratiques sexuelles des habitués. Si du côté des pratiques je fais preuve d'une assez grande ouverture d'esprit, c'est la manière de les présenter qui m'a surpris. La froideur qui les enrobe ne les auréole pas du plaisir libératoire ; au contraire on y voir une forme de perversion, parfois sadique, de la part de ces hommes. De même, les réactions atones des filles qui se trouvent au confluent de réactions contradictoires sont plutôt déstabilisantes.

Mais voici le mot : atonie.