mardi 30 août 2011

Les Nouveaux chiens de garde - Serge Halimi

Il n’est pas rare de nos jours d’entendre parler de la presse en des termes peu élogieux, des termes tels que désinformation et orientation de l’information sont des leitmotivs dans la bouche de ses détracteurs. Serge Halimi semble bien placé pour juger de l’état de la presse française, il a lui-même un pied dans la profession. Il est même devenu, et ce depuis Mars 2008, directeur du journal Le Monde. Il critique pourtant, avec Les Nouveaux chiens de garde, certains de ses collègues haut placés. Ce pamphlet a pour but d’initier le lecteur aux dérives ayant cours dans les milieux médiatiques, notamment dans les hautes sphères de notre presse nationale matérialisés par la trentaine de « barons » qui pèsent de leur influence sur toute la profession. Loin de décrier la profession, Serge Halimi  s’attache à fournir, à l’aide de documents d’archives et par conséquent volatils, l’état catastrophique dans lequel est plongé le journalisme français. Si l’image des journalistes ressort ternie après lecture des Nouveaux chiens de garde, on est en droit de s’interroger sur le statut même  de l’auteur, journaliste et qui pis est bénéficiant d’un poste relativement en vue. Pour ne pas discréditer Serge Halimi, car les faits semblent influer en sa faveur, il convient donc de narrer brièvement l’ « histoire » qui entoure ce pamphlet. Tout d’abord, Serge Halimi a tenu a ne pas faire de promotion pour son livre, il s’est contenté de laisser le bouche à oreilles faire le travail ; une décision qui a porté ses fruits semble-t-il, puisque Les Nouveaux chiens de garde fut un best-seller, avec 150.000 exemplaires écoulés. De plus, l’ouvrage fut très froidement accueilli et dépeint par ses confrères, ce qui m’incite encore plus à admettre dans les grandes lignes les affirmations de Serge Halimi, lequel cherche avant tout à montrer les écarts d’une profession qui, malgré son influence sur l’opinion, n’a de compte à rendre à personne. Et pour attester ses dires, il n’hésite pas à faire appel à des documents d’archives, car en matière d’information, le public comme les journalistes souffrent d’amnésie. 


A travers ce pamphlet, Serge Halimi dénonce la collusion politique et médiatique ; une profession qui se proclame contre-pouvoir, « porte-parole des obscurs et des sans voix, forum de la démocratie ». Rien de mieux lorsqu’on se targue de la sorte de constater l’évolution effectuée depuis les années de l’ORTF, un détachement vis-à-vis du pouvoir étatique rendu possible grâce à la privatisation. Voici néanmoins un argument des plus faux, car s’il est vrai, sur le plan formel, que les journalistes ne sont plus soumis à l’Etat, la pratique infirme ce jugement. Lors d’une interview du Président de la République, par exemple, c’est l’Elysée qui tranche le choix du journaliste, en fonction du profil souhaité. Quant aux émissions politiques, où la parole est donnée au peuple, si elles ne plaisent pas aux gouvernants, ces derniers se permettront d’amputer le budget d’une chaîne publique d’une centaine de millions d’euros. Lors de la réforme des retraites en 1995, un tel programme avait déplu. Les journalistes à l’origine de l’idée avaient simplement répliqué que ce genre de défouloir jouait le rôle de soupape de sécurité, une décompression en quelque sorte. Quant au CSA, sacro saint garant de la neutralité des médias, on est en droit de s’interroger sur leur neutralité à eux. Les membres sont nommés par le Président de la République (UMP depuis 1995), le Président du Sénat (UMP depuis toujours), et par le Président de l’Assemblée Nationale (UMP depuis 2002). Et d’après Hervé Bourges, ancien président de l’institution, « Jamais le CSA ne pourrait se permettre de nommer quelqu’un qui serait à l’avance rejeté par l’actionnaire », en d’autres termes l’Etat.
 
Ce monde médiatique, où tout le monde est invité à tutoyer Sarko jusqu’à s’en montrer ouvertement fier, prodigue à ses amis politiciens de bien accommodants services, comme passer sous silence une situation ambigüe. Ainsi, lorsque Nicolas Sarkozy remplaça promptement Alain Carillon au poste de ministre de tutelle des télévisions et radios publiques, il se trouvait déjà ministre du Budget et … porte-parole d’Edouard Balladur, candidat à la Présidence de la république. Citons également le cas Mitterrand, dans lequel la presse française s’est brillamment illustrée en ne dévoilant aucune information sur le cancer de l’intéressé. Ou bien alors, quand il arrive à certains journalistes de faire preuve d’audace, ils prennent des gants bien molletonnés pour parler de questions polémiques. D’autre part, si les hommes politiques se lient d’amitié avec les pontes médiatiques, c’est aussi par soucis d’éducation. Ils permettent à ces derniers de s’intégrer à des comités de réflexion et d’y découvrir les problèmes et solutions envisagées ; les journalistes pourront d’autant mieux jouer un rôle pédagogique au moment de passer à l’antenne. Mais cette collaboration remet en cause leur indépendance vis-à-vis du missionnaire et des personnalités côtoyées. Cette collusion des pouvoirs médiatiques et politiques sera évidemment susceptible d’orienter un journal, télévisé ou écrit. Le journalisme actuel est creux et révérencieux, il est mercantile et certainement pas de nature politique. Les services sont réciproques, car pendant qu’un journaliste se voit décoré par un ministre d’un de ces colifichets à la signification perdue dans les limbes de l’Histoire, les anciens ministres, eux, trouvent refuge au sein des groupes de presse.
 
Cependant, tandis que médias et politiciens forniquent de conserve (Jean-Louis Borloo et Béatrice Schoenberg par exemple), les premiers sont asservis par les industriels. Serge Halimi paraphrase ici Noam Chomsky : « l’analyse du dévoiement médiatique n’exige, dans les pays occidentaux, aucun recours à la théorie du complot. » Et de suite après de citer la réponse de Chomsky à un étudiant, curieux de connaître la manière dont l’élite contrôle les médias : « Comment contrôle-t-elle les General Motors ? La question ne se pose pas. L’élite n’a pas à contrôler General Motors, elle lui appartient. » En effet, les capitaux des organes de presse sont détenus en grande majorité par des groupes comme LVMH, Bouygues, Vivendi, Matra-Hachette, Lagardère, Dassault, Bolloré, reproduisant ainsi la situation du Comité des Forges lors de l’entre-deux-guerres. Serge Halimi nous renvoie alors au discours de Daladier le 28 Octobre 1934 devant le congrès du parti : « Deux cent familles sont maîtresses de l’économie française, et, en fait, de la politique française. Ce sont des forces qu’un état démocratique ne devrait pas tolérer, que Richelieu n’eut pas toléré dans le royaume de France. L’influence des deux cents familles pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit. Les deux cents familles placent au pouvoir leurs délégués. Elles interviennent sur l’opinion publique, car elles contrôlent la presse. »
 
Rien d’étonnant donc à lire Serge Halimi qualifier la profession de « journalisme de marché. » Néanmoins, la désinformation, reconnait-il, n’est pas toujours issue de la volonté de manipulation ; elle procède parfois de l’incompétence du journaliste. Ceux-ci se retrouvent parfois pris au piège des structures mentales qu’ils ont contribué à édifier, comme lors d’un « débat » sur les attentats, où l’assimilation implicite entre musulmans et islamistes se produisit par le biais de la « fracture entre français et musulmans. » Le traitement de l’information internationale est également remis en cause ; les faits relatés iraient parfois à contresens de la réalité, tout en demeurant couplé à une écriture automatique, intellectuellement peu exigeante en raison du temps requis. Volontairement bâclée, l’actualité internationale se voit reléguée au second plan au nom de l’audimat. Car de plus en plus, et peut-être l’avez-vous remarqué, « le fait divers fait diversion », certains thèmes racoleurs se multiplient d’autant plus que leur coût de fabrication est dérisoire, en dépit du fait que la surabondance de ces sujets ne reflète pas la réalité. Les responsables de rédaction se copient les uns les autres et tendent donc vers l’uniformité, étouffant par là même le pluralisme que revendiquent nos médias : « le journalisme de marché domine à ce point les médias français qu’il est très facile – pour le lecteur, pour l’auditeur, pour le journaliste – de passer d’un titre, d’une station ou d’une chaîne à l’autre. Au niveau de la presse hebdomadaire, cette ressemblance assomme : les couvertures, suppléments et articles sont devenus interchangeables ; ce sont souvent les conditions d’abonnement – pour parler clair, la valeur des produits ménagers convoyés avec le journal – qui déterminent le choix du client. »
 
Cette uniformité, d’après Serge Halimi, serait le reflet de la pensée unique, instituée par les « maîtres du monde », qui la partagent tous dans son entièreté. La pensée unique n’est pas neutre ni changeante, « elle traduit en termes idéologiques à prétention universelle les intérêts du capital international, de ceux qu’on appelle les marchés, les gros brasseurs de fonds. » En abusant du crédit et de la réputation qu’on leur attribue, les institutions économiques internationales (Banque Mondiale, FMI, OCDE, Banque Centrale Européenne) souhaitent soumettre les élus à ses « Tables de la Loi », à « la seule politique possible, incontournable », puisqu’elle possède l’aval des riches. Toujours  d’après l’auteur, l’idéal de la pensée unique est de dépouiller le débat démocratique de sens, le réduire à un périmètre idéologique minuscule  « puisqu’il n’arbitrerait plus entre les deux termes d’une alternative. »
Je me permets ici une critique sur la forme, car si Serge Halimi critique le libéralisme – ou le capitalisme -, avec véhémence parfois, il n’avance pas pour autant de preuve étayant tous ses dires. Pour les obtenir, je pense donc m’orienter vers La Fabrication de l’opinion, de Noam Chomsky et Edward Herman. Fin de l’aparté, je reviens sur le propos du livre et sur la pensée unique, à propos de laquelle l’auteur nous met en garde : « Céder à cette pensée là, c’est accepter que la rentabilité prenne partout le pas sur l’utilité sociale, c’est encourager le mépris du politique et le nique du capital » ; et la presse célèbre le libéralisme comme une avancée, une certitude économique, ou le critique sur des aspects passés. C’est sur LCI notamment que l’amour de l’argent se manifeste au grand jour, que Jean-Marc Sylvestre partage sa foi : « Il n’y a pas de progrès social sans progrès politique. » On sent donc un conditionnement des médias en faveur du capitalisme, les journalistes reprennent en substance les propos des chefs d’entreprise. Certains professionnels osent même se fabriquer une auréole de prestige en se prétendant dissident vis-à-vis de l’ordre établi.
 
Les journalistes éludent donc les vraies questions, mais ce avec la coopération des hommes politiques, qui consentent à ce simulacre et acceptent de réserver leurs affrontements aux questions accessoires. D’autant plus que les journalistes ne jettent plus de regard critique sur le monde ; dans leur logique d’accompagnement de la classe dirigeante, leur rôle se résume à expliquer l’économie-monde, rôle d’autant plus crucial qu’on se reproche d’avoir du retard en la matière.
 
Serge Halimi nous décrit également ce monde médiatique comme un « univers de connivence », où les services réciproques pullulent jusqu’à frôler l’absurdité. Ne serait-ce qu’à travers les articles louangeurs sur le livre d’un collègue ou ami, ces retours d’ascenseur permanents dont n’hésitent pas à user les journalistes, jusqu’à vanter hypocritement l’ouvrage d’un collègue de rédaction à force de superlatifs portés aux nues. Ou encore à truquer chaque année le concours récompensant le « meilleur ouvrage » d’un confrère. Mais le comble reste les cas d’auteurs reconnus juridiquement de plagiat qui continuent d’être encensés par leurs copains journalistes ; citons le cas Alain Minc au hasard. Cette connivence se manifeste de manière peut-être visible par le ballet incessant des journalistes, trimballés de chaîne en chaîne, de station en station, ou de quotidien en quotidien. Certains même cumulent les postes, ce que les médias, toujours prompts à dénoncer cette pratique chez les hommes politiques, ne semblent pas remarquer lorsqu’il s’agit de leur paroisse. Pour terminer, Serge Halimi remet en question le statut même des « commentateurs vedettes », ces superstars de l’info qu’il est impossible de manquer quand on est un minimum relié au monde. Est-ce tellement grâce à leur travail et à leur savoir-faire que ces gens là bénéficient de cette notoriété, ou bien en raison de leur fréquence d’apparition ? La réponse est, bien évidemment, dans la question.
 
Beaucoup a été dit sur Les Nouveaux chiens de garde, au point que ce billet ressemble, à juste titre, à un résumé de ce court pamphlet. Après avoir rapporté, fidèlement je l’espère, les propos de l’auteur, je m’autorise maintenant une note personnelle. Si j’avais une vague conscience d’être manipulé par les médias, je ne pensais pas, ignorant que je suis, que la pratique s’étendait si profondément sur tous les supports. Néanmoins, si le constat peut paraître effrayant, Serge Halimi tempère ses propos, il nous montre que malgré l’obstination de la presse à nous malaxer le cerveau, l’opinion publique n’est pas toujours à la merci de journalistes peu scrupuleux.

lundi 29 août 2011

Notre-Dame de Paris - Victor Hugo

Il existe certains livres dont la réputation fracassante, amplifiée par l'écho des siècles traversés, vous intimide parfois lorsque vient le moment de s'y plonger et d'y découvrir les myriades de trésors prétendument colportés. L'ampleur de l'ouvrage, la dimension historique incontestable et tant d'autres facteurs inquiètent le lecteur de passer outre des délices supposés. Notre-Dame de Paris appartient à cette catégorie d'ouvrages, et ce sentiment intimidant se voit renforcé par le volume de l'ouvrage, un bon pavé rumsteak de 700 pages à l'arrondi.

Croquis de Quasimodo par Hugo

Pierre Gringoire est un philosophe, un ami des Arts et des Lettres, qui se sent au pinacle de sa gloire le jour où l'une de ses pièces composée pour la Dauphine est jouée en présence de notaires de Paris. Ce qui devait pourtant consacrer son génie à cet instant précis, par les événements survenus dans la salle et au dehors, l'amènent finalement à n'obtenir aucune obole pour ce travail accompli et à échouer, par la force des choses, truand. Ce qui a détourné l'attention de sa pièce, c'est l'élection du rois des fous par les manants et les gueux de la ville, où nous faisons pour la première fois la connaissance de Quasimodo, élu roi à l'unanimité en raison de son faciès plus que de difforme.

C'est ce même Quasimodo qui se livrera plus tard à une tentative d'enlèvement sur la Esmeralda, jeune bohémienne de 16 ans au caractère angélique mais fier, à l'allure de brindille flottant au gré des vents, qui enjôle et charme son public sans comparaison possible, mais qui se voit prise à son tour par les pièges charmeurs de son sauveur, le capitaine Pheobus, grand coureur de jupon. Ce dernier sera d'ailleurs sa perte, puisqu'elle sera accusée de son meurtre et condamnée à mourir pour sorcellerie, et cela par la faute de Claude Frollo, archidiacre de Notre-Dame, qui lui voue étrangement une haine farouche et indéfectible.

Mais les truands, convaincus par Gringoire, ne renoncent pas à sauver leur sœur du gibet, et s'organisent pour faire sortir la belle de Notre-Dame, où elle est recluse depuis que Quasimodo, le sonneur de cloches, l'a sauvée une première fois.

Amis lecteurs amoureux de la brièveté et de la concision, passez votre chemin, Notre-Dame de Paris n'est aucunement fait pour vous plaire. Si plus d'un paragraphe de description achemine à vos yeux courroucés des litres de sang impatient, vous ne dépasserez pas le premier chapitre. Exomil, spliff ou autres remèdes de votre choix ne sauront vous convaincre de persévérer. Les plus courageux seront quant à eux récompensés, comblés, transportés aux nues par le lyrisme débordant  de Hugo. Ce cher Victor possède un style particulier, inimitable, inépuisable qui court tout le long du roman sans presque jamais s'arrêter ; la lecture de Notre-Dame de Paris est un marathon lyrique des plus agréables mais aussi des plus épuisants. Sa lecture, interrompue, hachée, s'est, je crois, étalée sur trois mois, pendant lesquels l'opinion sur l'ouvrage fluctue sans cesse : l'ouvrage est magnifiquement bien écrit, mais il s'y passe peu de choses, l'ennui guette mais le style toujours y ramène. Bref c'est long, c'est épuisant à lire, il faut s'accrocher aux métaphores et périphrases qui parsèment le livre, et s'y plonger à corps perdu pour ressentir la puissance brute du style hugolien, qui arrive, lors du chapitre sur l'histoire de la ville de Paris, à transformer un cours d'histoire en épopée grandiose, en un chant éclatant d'amour et de gloire, qui métamorphose cet assemblage de briques et de pierres, de paille et de chaux, en une entité vivante, indépendante, conquérante, résistant à l'assaut des hommes et du monde.

Car chez Hugo le style se confond avec la forme, le lyrisme traduit et exacerbe les passions des acteurs, que l'on sent guidés plus par leur instinct que par la raison, ce qui correspond, si je ne me trompe, à l'idéologie romantique. Rarement on surprend Quasimodo, Frollo ou Gringoire effectuer un choix pragmatique, sauf lorsqu'il s'agit du choix de la vie. Et encore, Esmeralda émettra le souhait de mourir plutôt que souscrire à une vie privée de Phoebus. Ce dernier d'ailleurs sera la cause de la perte d'Esmeralda, mais au-delà de ça il est l'axe de l'ouvrage, la fatalité, l'Ananké tant redouté par Claude Frollo ; Phoebus est froid et insensible sous des dehors de jovialité, l'antithèse de l'archidiacre qui, sous des apparats d'austérité, dissimule un cœur de lave agité d'incessantes palpitations.

Le personnage de Quasimodo se révèle quand à lui moins énigmatique, il personnifie la cathédrale mutilée, tant physiquement qu'intellectuellement. Sa difformité s'explique par les affres du temps, des révolutions et des hommes sur la cathédrale, que l'on retrouve chez lui de naissance et amplifiée par les hommes; et sur le plan intellectuel sa bizarrerie d'esprit s'explique par les ravages internes sur la cathédrale, dont les modifications successives ont dénaturé la nature. Expliquée en un chapitre, l'importance de l'architecture au Moyen-Âge et avant rappellera à certains des souvenirs du comics From Hell, d'Alan Moore, où tout un chapitre exposait, entre autres, la réalité sous-jacente des symboles.

Au niveau des reproches, car il y en a et j'ai failli les oublier dans mon flux lyrique tant je me remémorais de si beaux instants, ce sont ces longueurs austères et infinissables décrivant les quartiers de Paris, des histoires de prévôts qu'on ne connaît pas et dont on se fout royalement, des commérages de l'ancien temps déjà anciens à l'époque, des allusions aux découvertes scientifiques qui datent tout autant ; bref des vieilleries apparemment indispensable au roman historique, mais si pesantes de nos jours (et de ceux de Hugo certainement).

Que dire finalement de Notre-Dame de Paris ? La conclusion est il me semble au-dessus de ces lignes, tant il m'est impossible de réduire mon commentaire sur l'ouvrage. Si la lecture n'aura pas été d'une traite, le commentaire l'aura, lui, été. C'est plutôt un bilan que je ferai de ma lecture, car je m'attendais à une certaine critique, à un certain message, moins ancré en creux et plus explicite, plus percutant, et il m'aura fallu atteindre la fin pour remettre toutes ces idées dans l'ordre. J'émettrai cependant un bémol sur la préface de l'édition « Livre de poche », qui par son obscurité et à son pédantisme semble s'adresser bien plus à des licenciés en lettres qu'à de « simples lecteurs », ou du moins amateurs parmi lesquels je me considère.

Finalement, Notre-Dame c'est long, c'est chiant. C'est beau, c'est magnifique, et surtout c'est un chef d'oeuvre.


Un dernier mot pour signaler qu'Hugo, en amant de toutes les femmes, vous délivre à vous mesdames, mesdemoiselles, ces quelques mots qui sauront au mieux vous réconforter, au mieux vous servir de bouclier :

Où les femmes sont honorées, les divinités sont réjouies ; où elles sont méprisées, il est inutile de prier Dieu.

Immédiatement suivi par ces paroles :

La bouche d'une femme est constamment pure ; c'est une eau courante, c'est un rayon de soleil. Le nom d'une femme doit être agréable, doux, imaginaire ; finir par des voyelles longues, et ressembler à des mots de bénédiction.

Comme quoi on a beau être un grand auteur, ça n'empêche pas de se planter.

dimanche 28 août 2011

Gomorra : dans l'empire de la Camorra - Roberto Saviano

Parmi les nombreux clichés indécrottables, celui de l'organisation mafieuse qui règne par les armes est tenace. On s'imagine alors fusillades et manifestations en tous genres, où la renommée d'une organisation criminelle se mesure au bruit qu'elle suscite. La Camorra prend le contrepied de cette vision répandue et arbore une image d'entrepreneurs avant tout, où la partie se joue d'abord sur le terrain économique avant de passer aux armes en cas d'accrochage sérieux. Roberto Saviano, l'auteur de ce documentaire, est aujourd'hui menacé de mort par les membres de l'organisation mafieuse napolitaine. En effet, Gomorra est ce que l'on peut appeler une dissection en règle de la Camorra, et son fonctionnement nous est longuement exposé.


Tout commence dans le port de Naples, où un conteneur laisse s'échapper les dépouilles de travailleurs chinois, le cortège funéraire dûment choisi par les défunts afin de reposer dans leur chère terre natale chinoise. Voici le premier commerce mafieux que l'on découvre. Mais très vite, les asiatiques sont oubliés au profit d'un marché bien plus juteux, celui du textile, où l'on apprend que 70% des exportations chinoises mondiales transitent par le port de la ville, qui, par la magie de la roublardise napolitaine, ne représentent que 20% du montant. La question se pose ensuite de savoir où transite tout ce tissu. Eh bien, chez nous, dans nos contrées, ce sont les vêtements que nous portons au quotidien.
 
Restons également dans le textile, où nous apprenons que la mode, celle qui nous agresse tous les jours, nous formate à chaque instant, est façonnée en partie en Campanie, où d'innombrables ateliers clandestins œuvrent sans relâche pour confectionner les modèles de grands couturiers. Des noms sont donnés, mais seulement pour étayer le propos, déjà appuyé sur les enquêtes des services secrets italiens, de la Direction des enquêtes anti-mafia (DDA) de Naples, et d'autres organismes soigneusement cités et explicités.
 
On sent d'ailleurs un travail de recherche proche de l'exhaustivité, d'un recours massif au travail d'investigation policière, même si l'auteur lui-même est allé sur le terrain. Il n'est pas rare que soit évoqué tel rapport d'enquête, ou conversation téléphonique surprise par les forces de l'ordre. Même si tout cela prête à appuyer la véracité d'un propos qu'on ne met pas en cause, la succession de justifications dans un même paragraphe peut parfois irriter, tout comme le grand déballage dont il est question, au point que certaines parties ressemblent à un historique de la Camorra, notamment celle de la guerre intestine. Succession de noms inconnus et d'assassinats en tous genres, ce chapitre qui s'étend sur une centaine de pages est souvent difficile à suivre, car cette ribambelle de patronymes étrangers et leur destin n'est pas du plus grand intérêt.
 
Cependant, tout ne tourne pas autour de guerres destructrices aux morts innombrables. Bien que la Camorra détienne le record d’homicides, en comparaison avec d’autres organisations mafieuses, voire terroristes, l’aspect le plus important du Système, comme on l’appelle, réside dans l’avant-gardisme économique de la structure. Racket nouvelle génération, contrefaçon de vêtements de luxe, investissement dans le bâtiment, réorganisation du trafic de drogue, fourniture en armes aux groupes paramilitaires étrangers, voire aux armées régulières, tout passe par l’évolution constante de la gestion des affaires. Aujourd’hui, la Camorra n’est plus ce groupe de gangsters qui surgit au coin des rues – la branche paramilitaire est certes toujours présente mais beaucoup moins -, c’est désormais un cartel d’hommes d’affaires, qui développent leurs entreprises par le biais de méthodes illégales, mais qui brassent des milliards, tout en impulsant une forte dynamique à leur pays.
 
Néanmoins, si le propos est digne d'intérêt, je dois avouer que j’ai souvent été perdu par le schéma narratif de l'auteur, qui semble alterner beaucoup de notions. Ce procédé oblige à une attention de tous les instants, car peu de passages permettent un relâchement d'attention. Et malgré le côté didactique, il m'a parfois manqué quelques pièces pour raccrocher les wagons, et comprendre le lien de causalité entre deux actions. Là-dessus, j'aurais apprécié un peu plus de profondeur, d'explications supplémentaires et moins succinctes, quoique la dissection d'une organisation criminelle qu'est la Camorra soit déjà un exploit en soi, avec les risques que cela comporte.
 
Un dernier reproche cependant, léger, futile peut-être, mais qui m'a particulièrement agacé : c'est l'emploi répété, jusqu'à l'overdose parfois, des comparaisons dans les rares passages descriptifs. Jusqu'à cinq occurrences du terme "comme" en deux paragraphes ! De plus, durant ces épisodes, Saviano a souvent tendance à tomber dans le mélodrame (ce qui, vu les circonstances, n'est pas totalement blâmable), à accentuer son ressenti. Sa plume agréable lorsqu'il nous expose froidement la situation devient soudain presque désagréable en présence d'un lyrisme exacerbé. Mais bon, tout cela reste anecdotique.
 
Finalement, c'est un documentaire béton, qui montre l'étendue tentaculaire de la puissance de la Camorra. Néanmoins sa construction m'a déplu. Malgré une narration plus que correcte, j'aurais apprécié que l'auteur s'attarde parfois plus longtemps sur la description de certains mécanismes qui semblaient importants. Certains passages ressemblent à un grand déballage, à un historique de la Camorra, ce qui s'avère ennuyeux lorsque l'on souhaiterait appréhender plus en détails cet empire colossal, bâti sur l'économie plus que sur la violence.

vendredi 26 août 2011

Website de la communauté Autres Mondes

Du temps lointain où j'étais encore sur overblog, j'avais découvert grâce à l'ami Spooky la communauté Autres Mondes à laquelle je m'étais affilié. Trainant d'abord sur le forum, participant ensuite au webzine, de fil en aiguille j'ai fini par tisser quelques liens avec ses membres, même si mon éloignement relatif envers la SFFF dernièrement a contribué à délaisser un peu la communauté.
Sauf que j'y reste malgré tout attaché.

Du coup, quand je vois dans la newsletter du sire Spooky qu'Autres Mondes a maintenant son site web, je me permets de relayer l'info, qui intéressera certainement ceux qui aiment la SFFF. Pour présenter brièvement ce qu'est une communauté overblog, c'est un regroupement de blogueurs partageant une ou plusieurs passions en commun. Et plus spécifiquement, Autres Mondes regroupe un tas de dégénérés complètement asociaux attirés par la mystique occulte de la science-fiction, de la fantasy et du fantastique conjugués.
Vous aussi vous vous retrouvez dans ce portrait - si légèrement - caricatural ? Alors faites un tour par la communauté Autres Mondes, vous rencontrerez certainement des potes.

http://sites.google.com/site/autresmondesob/

jeudi 25 août 2011

Le Diapason des mots et des misères - Jérôme Noirez

M’attirer vers un livre de fantasy n’est pas chose aisée, il me faut des arguments solides et un prescripteur de confiance. Pourquoi cette méfiance envers ce genre ? Pour la simple raison qu’il est aujourd’hui surchargé, inondé, de l’avis même des éditeurs. Les stéréotypes foisonnent plus que partout ailleurs et l’innovation se fait rare, c’est pourquoi un auteur comme Jérôme Noirez est précieux. Son Diapason des mots et des misères fut donc une surprise totale et parfois brutale, transpirant l’originalité et la noirceur autant par le style que par le propos. Quoique la classification fantasy ne soit pas totalement exacte, on fleurte beaucoup plus avec le merveilleux.


D'habitude la signification d'un titre m'indiffère autant qu'un fibrome de Madonna, mais je dois reconnaitre que celui-ci m'a interpellé.  Le Diapason des mots et des misères, un joli titre qui présente de manière élégante le bonbon noirci et l'enrobage chatoyant.
 
Cependant, malgré toutes les qualités de ce recueil, je doute avoir fait un choix des plus pertinents en m'y intéressant au sortir de Tolstoï. La plume sobre mais d’une rare prestance de l’écrivain russe contraste fortement avec l’embrasement perpétuel du français, et s’il est possible de lire et comprendre Tolstoï dans un état un peu moins que cadavérique, n’escomptez pas apprécier votre lecture de Noirez dans les mêmes conditions. Ce foisonnement erpétuel recèle un prix finalement peu élevé en regard du plaisir procuré, une attention de tous les instants pour espérer pénétrer dans ce saint lieu de l’Imaginaire. Le sillage fuyant de la plume acérée nous arrache au monde livide et pâle, nous propulse dans les limbes abyssales d’un esprit tortueux aux rêves enfiévrés ; à coup de virgules travaillées la plume dicte son rythme endiablé pendant que les tournures sublimées enserrent le lecteur de tous les côtés, le laissant pantois devant tant de virtuosité. Et si d’aventure l’encre rétive s’éprend d’un argot dérangeant, là encore le plaisir persiste.
 
D’après Catherine Dufour, qui signe la postface du recueil, la noirceur habituelle de l’auteur est ici condensée, exacerbée, comme si la contraction des pages en avait retranché toute la gaieté : les enfants ne véhiculent pas la joie de vivre, ils attendent dans l’angoisse la mort qui viendra les délivrer d’aïeuls leur reprochant d’être nés ; il n’y a pas de forêts luxuriantes - à une exception près -, mais de vieilles bâtisses croulantes aux murs lépreux. La nuit tombée, Prague n’est plus qu’une banquise fendillée de façades éparses, hantée par l’écho des Skoptzy et leurs gardiens inquiétants. Les jeunes lecteurs ne sont pas oubliés, l'auteur leur concocte trois nouvelles – disposées à la fin – qui sauront les effrayer. Si Shirley's Doll et La Leçon de piano (dans le style de Balthus) n'ont pas tellement retenu mon attention, c'est sans conteste L'Enfer des enfants pas sages qui les torturera, tout comme il l'a fait avec moi.
 
Néanmoins le sieur Noirez sait, entre deux nouvelles funestes, nous remonter le moral avec un humour décapant. La Grande nécrose en est un bon exemple avec son histoire de zombie loufoque où se mêle un peu de policier qui ne l'est pas moins, mais c'est notamment avec L'Apocalypse selon Huxley, où l'on suit quelques potes complètement déglingués prompts à la défonce, embarqués dans un trip foireux aux states, que l'auteur se montre sous un excellent jour. Il semble d'ailleurs que cette nouvelle ait remporté le prix de la meilleure nouvelle au GPI 2010. Feverish Train se montre également un digne représentant de l'humour noirezien, avec son train de tous les dangers et ses voyageurs atypiques.
 
Du recueil je retiens également la première nouvelle, 7, impasse des Mirages, qui raconte le retour au pays d'un père et son fils après l'explosion d'un puits de pétrole. Le récit, qui débute sur une note autobiographique – ou du moins qui s’en rapproche fortement –, bascule lentement dans le merveilleux. Et pour rester dans mes préférences, j’évoquerai Stati d’animo, qui met en scène un futuriste traquant un homme jusque chez lui, course poursuite retransmise en direct durant laquelle on a tout le loisir de haïr cet homme. Le procédé de narration, indirect, offre une plongée dans l’horreur fichtrement réussie. Néanmoins, la nouvelle-titre du recueil, Le Diapason des mots et des misères, m’aura rebuté au point de passer outre la fin, et ce en dépit de sa relative brièveté. Cette histoire de fil et de communication se révèle bien trop absconse et tordue pour moi.
 
A travers ces récits transparait également l’amour de Jérôme Noirez pour la musique, puisqu’en plus de baser une nouvelle sur cette thématique (Késu, le gouffre sourd) et un recours notable au lexique musical, le compositeur s’invite le temps de quelques pages pour dédier une ode à l’une de ses héroïnes.
 
Quant à l’objet en lui-même, il se montre très satisfaisant. La qualité du papier et de la couverture affirment une impression de robustesse, et j’apprécie cet encart à la fin de l’ouvrage qui met en valeur l’illustrateur et d’autres acteurs peu mis en lumière autre part. D’autant plus que la couverture me plait beaucoup, et qu’un marque-page, représentant une partie de cette illustration, est gracieusement fourni avec le bouquin. Si vous souhaitez en découvrir un peu plus sur la maison d’édition, Griffe d’Encre, A.C de Haenne en a fait un article.
En bref, car tout a été dit, cette première incursion dans le monde de Jérôme Noirez s’est révélée surprenante, dans le sens primaire du terme. Un condensé de non-sens dérangeant par moments, des thèmes très peu visités, émaillés de certaines scènes choquantes, mais surtout ce style foisonnant  qui laisse peu de répit. Toutefois, je doute que ces textes soient la meilleure entame pour s’initier au monde de l’auteur, j’ai par moments eu du mal à distinguer l’aboutissement de tel récit.
 
                On voudrait en avoir, on voudrait croire qu’on en a, de distincts, de précis, mais il faut, lorsque le jour chavire, se rendre à l’évidence : les souvenirs de notre petite enfance nous échappent pour toujours. C’est une chose plus délétère, plus indicible, et si je devais la nommer, cette chose vague, cette demi-conscience, je l’appellerai souvenance : fragrance de souvenirs, rêve de souvenir, souvenir de souvenirs, une mémoire de salpêtre, encore que, du salpêtre, où je vis, je n’en vois jamais, car où je vis, c’est un monde sec. J’essaye toutefois, dans la pénombre d’un soir de printemps, aux senteurs de terre humide et de mimosa, de capturer des bribes de cette mémoire, de compléter cette esquisse tracée avec une baguette torve, en m’astreignant à ne pas mentir plus que nécessaire.
                La souvenance, c’est tout ce qui me reste de mes premières années qui font, lorsque je me retourne en moi-même, comme une flaque de chaleur mouillant le bitume d’une route rectiligne.
                  Finalement, je crains de devoir mentir un peu.
 
Le Diapason des mots et des misères - Jérôme Noirez - Griffe d'Encre 2009 - 240 pages

mercredi 24 août 2011

Cleer, une fantasie corporate - L.L. Kloetzer

Pour les amateurs de fantasy, Laurent Kloetzer n’est pas un illustre inconnu comme il l’était avant ma lecture de Cleer. Il est déjà l’auteur de trois romans rattachés au genre, et son dernier ouvrage en date, Cleer une fantasie corporate, se veut être le quatrième. Le terme « corporate », accolé improbablement à celui de « fantasie », réveillera à coup sûr quelques neurones sous-utilisés de n’importe quel lecteur un minimum attentif à la frontière des genres. Qu’est-ce donc qu’une fantaisie corporate ? Voilà une question digne d’intérêt, je vous l’accorde, mais uniquement parce qu’elle m’interpelle également.


Pour bien des personnes, la fantasy est un genre où les dragons, elfes, nains, centaures, et autres bestioles anormalement difformes ont élu résidence depuis que les mythologies antiques ne sont plus à la mode, sauf en de rares occasions. Cependant, monsieur Kloetzer, assisté de sa chère et tendre pour l’occasion, ne l’entend pas de la même oreille, il décide de prendre le contrepied des clichés véhiculés et de situer ses intrigues, si ce n’est dans le monde réel, du moins dans un monde extrêmement proche du nôtre. Néanmoins, si le monde environnant se révèle être une copie de l’original par ses aspect géographiques, historiques et culturels, nous pénétrons dans un monde finalement un peu dissonant vis-à-vis d’autres lectures plus exotiques, car c’est le monde du travail qui nous attend au tournant. Non pas le turbin laborieux à la chaîne d’une quelconque usine, mais un quotidien passé à enquêter et débusquer les dysfonctionnements à l’origine d’une baisse de productivité, et susceptibles de porter atteinte à l'image du Groupe.
 
C’est en compagnie de Charlotte et Vinh que nous passerons le plus clair de notre temps, un duo aux multiples facettes. Charlotte se veut une jolie femme, privilégiant la conscience professionnelle à ses atours terrestres, qui fait preuve d’une forte empathie. Les relations humaines sont un domaine qu’elle maîtrise, et tant mieux pour elle puisque son sens du contact la sortira de quelques situations complexes. Son partenaire, Vinh, un vietnamien athlétique, possède un sens du contact plus rapproché. Cet homme viril, qui a le bon goût de ne pas abuser de violence, joue avec brio le rôle du salopard ambitieux. Si Charlotte souhaite s’acquitter de son boulot de son mieux, en comprenant et protégeant les employés, Vinh manigance quant à lui dans l’ombre pour établir quelques contacts au sein du « Groupe ». Cette entité, finalement assez floue malgré une pique sans conséquence portée en début de récit, se nomme Cleer, une multinationale si vaste qu’elle se permet de posséder une branche Cohésion Interne, dont la charge est de remettre sur les rails une société associée en identifiant de manière précise les causes liées aux troubles rencontrés. C’est donc un travail d’enquêteurs que mènent ces deux là, conjointement et efficacement malgré l’assemblage hétéroclite.
 
Le récit se découpe en six nouvelles, la première étant anecdotique, et la dernière concluant l’histoire. On ne peut réellement affirmer qu’il existe de lien solide entre ces différentes parties, chacune contenant une intrigue propre. Tout au plus notera-t-on une légère évolution relationnelle et de rares références à des événements antérieurs. La première « vraie » nouvelle nous emmènera dans un call-center de luxe, où les deux partenaires feront connaissance au milieu de cadavres de jeunes opératrices suicidées. Cette entame n’a pas réussi à me faire décoller, l’explication me paraissant beaucoup trop éludée. La seconde réussit à m’éveiller un peu plus : nos deux cracks en herbe se retrouvent à lutter contre le temps et une autre branche du Groupe, Charlotte jouant l’enquêtrice de terrain pendant que Vinh loupe son train. Mais l’ensemble est gâché par un élément fantastique passé au second plan, alors que bon, c’est pas rien tout de même, et une fin là encore un peu trop vite expédiée.
 
C’est à partir de la troisième nouvelle que je commence vraiment à prendre du plaisir. Après une amorce un peu laborieuse, on commence à comprendre qu’il y a une sombre histoire de manipulations génétiques sur des semences et certaines conséquences que le Groupe préfèrerait dissimuler au public. C’est ici que le vietnamien s’illustrera grâce à sa ruse et sa roublardise. Si certains pourront être écœurés des procédés employés, ce passage m’a beaucoup plu. On embraye directement sur un autre aspect de la santé, avec la mise au point d’une banque de données d’informations génétiques, sanguines, et autres. Le concept de ce projet demeure assez vague, et c’est dommage au vu du caractère essentiel qu’il revêt pour certains protagonistes. Là encore, incursion du fantastique.
 
Quant à la dernière nouvelle, elle nous entrainera jusque dans un coin paumé de la jungle vietnamienne, à la recherche d’un site placé sous l’autorité du Groupe, qui aurait subit des dégâts environnementaux d’une extrême gravité. Le final ésotérique sera sujet à interprétation, mais on sent la volonté sous-jacente de mettre un point final au récit.
 
On s’aperçoit dès lors de l’actualité des thématiques introduites : vague de suicides, catastrophe écologique, OGM et fichage génétique sont bien des préoccupations contemporaines, chacun en a entendu parler. Ainsi, Cleer se veut un ouvrage inscrit dans son époque, collant de près à ses problématiques. L’ouvrage se voudrait aussi  une critique contre les multinationales, ces dernières étant à la base des phénomènes destructeurs évoqués, mais cet aspect n’est qu’un rabâchage des arguments qu’on a pu entendre ici et là : empiètement sur la vie privée, pratiques douteuses pour protéger l'image, valeurs communes au groupe, délocalisation quand tout va mal. Même le système OBO ne m’a pas fasciné. Seul le psychologue/gourou Karenberg demeure obscur quant à son vrai rôle : est-il seulement un charlatant bien plus que doué, ou alors la caricature des plans de recrutement des entreprises, planifiant tout jusqu'au contact humain ?
 
J’attendais une critique des mécanismes de management, ou du moins une exposition plus profonde. Passant outre cette faiblesse, j’ai pris le récit qui venait comme un simple thriller mâtiné de fantastique. Je ne suis pas familier de cet élément, et pas forcément fan quand il se mélange à un récit d’apparence réaliste, d’autant plus quand il m’apparait comme un  deus ex machina un peu trop voyant. Toujours dans la lignée des reproches, certaines questions sont passées à la trappe en cours de route, mais brillamment il faut l’avouer. Car le récit est mené tambour battant, les rebondissements fourmillent, Kloetzer ne s’encombre pas de détails inutiles. L’accent est mis sur la personnalité de Vinh et Charlotte, et les descriptions réduites au strict minimum. Quoique la plume de l’auteur soit exquise, elle nous offre quelques paysages d’une rare beauté, et on se délecte de ce tourment lyrique dans lequel cette plume nous attire inexorablement. Grâce à ces deux atouts, prépondérants, la pilule est avalée sans parfois s’en rendre compte. De plus, l’informatique, omniprésent par la personne de Vinh, est suffisamment expliqué pour que ce domaine n’apparaisse pas sous un jour omnipotent et cryptique, les opérations effectuées sont suffisamment développées (du moins pour certaines, certaines redondantes n’auraient fait qu’alourdir inutilement le récit) pour qu’on ne sente pas pris pour des pigeons. C’est à noter.
 
Finalement, Cleer m’a surpris, par le propos autant que par l’histoire. Je m’attendais à une critique plus virulente de l’entreprise et un déroulement moins axé sur le policier. Et malgré les défauts évoqués, la qualité d’écriture et les intrigues bien fouillées suffisent pour passer un moment plus qu’agréable. 
 
A voir aussi chez Gromovar, Efelle, et chez Les Singes de l'Espace

mardi 23 août 2011

Ceux qui nous veulent du bien - Collectif La Volte

Pour ma première participation à l’opération Masse Critique, j’ai eu le plaisir de recevoir Ceux qui nous veulent du bien. Je remercie à cet effet Babelio et les éditions La Volte pour m’avoir permis de découvrir ce bouquin sur lequel je lorgnais depuis son annonce même. Sous la couverture bizarre, sous ces motifs évoquant le silicium technologique, se trouvent 17 nouvelles rapportées d’un futur bien géré. Et comme toujours en pareil cas, tous les récits ne se valent pas.


L’ouvrage s’ouvre sur la préface de Dominique Guibert, secrétaire général des Droits de l’homme, qui nous rappelle succinctement les dérives sécuritaires et technologiques pour un meilleur bien-être. C’est donc avec Thomas Day qu’on rentre dans le propos. Son récit nous raconte l’histoire d’une jeune fille dotée de pouvoirs technologiques, subséquemment poursuivie par les gouvernements. Comme parade, elle utilise les armes de l’ennemi. Le style très sec, le récit à l’allure de résumé et le propos sous-jacent ne parviennent pas vraiment à convaincre. De suite après c’est Stéphane Beauverger qui prend le relais avec Satisfecit. Ecrit à la première personne, comme la majorité des autres nouvelles, le texte nous plonge dans un monde où plus personne n’a rien à cacher ; la virturapie prévient les comportements déviants en les « absorbant ». La forme du thriller, retenue pour la circonstance, se montre efficace, et l’on sent une certaine influence qu’il convient de dissimuler pour ne rien dévoiler de préjudiciable.
 
De Bernard Camus, Les événements sont potentiellement inscrits et non modifiables fait figure d’interlude. Une confrontation entre les buts avoués et les objectifs recherchés dont la presse se fait l’écho. On enchaîne avec Spam, de Jacques Mucchielli, certainement le meilleur texte de l’anthologie. On y suit un ancien soldat, désormais SDF, infecté par les messages publicitaires. Le propos est non seulement captivant, mais le style dynamique de l’auteur assure à son héros un charisme certain. Juste après, Camille Leboulanger, jeune auteur de 19 ans, propose un texte de jeunesse écrit il y de cela deux ans. On y découvre la réaction hostile d'un vieil homme face à la montée des méthodes de rajeunissement. Le texte déçoit en regard des arguments opposés.
 
Avec Ayerdhal et Paysage urbain, on s’éloigne des critiques gouvernementales pour venir attaquer de front l’agencement urbain. La thématique inattendue son traitement se révèle fort instructive ; Ayerdhal nous expose les implications sociales issues d’un réaménagement citadin à l’occasion de la présentation d’un projet de ce genre aux conseillers municipaux. On enchaine avec Jérôme Olinon et Regards, qui défend ici l’immigration et l’homophobie. Assez banale, la nouvelle se lit néanmoins sans déplaisir, même si l’on peut se perdre dans certains fragments déchronologiques de la narration.
 
Gulzar Joby se montre plus inspiré que son prédécesseur avec Remplaçants. Il met en scène une bande de gamins des quartiers riches désireux d’explorer les banlieues. Pour cela, ils engagent des remplaçants chargés de revêtir leurs oripeaux bardés de quincaillerie technologique, et de suivre le planning prévu. Simultanément émouvante et angoissante, l’auteur revoie avec efficacité le coup classique de l’enfant privé de liberté. Il ne sera pas compliqué pour les adolescents ou jeunes adultes de s’identifier à ces riches prisonniers.
 
On embraye avec Eric Holstein et sa nouvelle au titre (et au contenu) parodique, Ghost in a supermarket, qui nous envoie à la traque d’un fantôme électronique ne se laissant pas aisément identifier, au grand dam d’une compagnie de flicage numérique. Malgré une plume détendue, le texte manque de punch, et la chute ne parvient pas à éclaircir la trame. On s’enfonce encore dans la déception avec Trajectoires, de Danel. La nouvelle aurait pu être un plagiat de Minority Report si l’auteur n’avait pris soin d’inclure d’autres clichés avec leurs gros sabots. Sans conteste le texte le plus faible de l’anthologie, mais malheureusement pas le plus court.
 
Matéo Prune relève (un peu) le niveau avec Sauver ce qui peut l’être. Sans être formidable, la nouvelle nous décrit un monde où le droit au secret n’est plus respecté, où chacun et surtout son conjoint se doit de connaître les moindres aspects de la vie de l’autre, jusqu’à disposer d’une mémoire numérique.
 
Puis Alain Damasio fait son entrée et se démarque clairement des autres textes avec Anna et la Harpe. Ceux qui ont lu La Zone du Dehors ne seront pas étonnés de voir l’auteur prêcher pour une émancipation vis-à-vis du technococon dans lequel nous évoluons. D’un style plus « calme » que ses romans antérieurs, le clavier de l’écrivain ne s’en montre pas moins agréable et immersif.
 
Au tour de Sébastien Cevey d’exercer son talent avec Des myriades d’arphydes, qui parle d’un geek  –qui tord volontairement le cou aux idées reçues – luttant pour un meilleur respect de sa vie privée. Si le propos et le déroulement sont dignes d’intérêt, j’ai été frustré que l’auteur ne prenne pas plus le temps de poser son histoire, on le sent restreint par le format au vu de certaines situations un peu embrouillées, tout comme le héros pas toujours clairement positionné.
 
Puis Paul Beorn s’attaque au contrôle du corps avec Vieux salopard, à travers un nouvel employé manipulé par une puce qu’il s’est vu implanter. Sans surprise, le constat est assez effrayant, de même que la chute. Philippe Curval prend la relève avec Un spam de trop, un texte assez effrayant sur la collecte d’informations privées. Afin de se retrancher dans l’anonymat complet, un journaliste plaque tout du jour au lendemain pour aller cultiver des légumes dans un coin paumé. Là encore, on assiste à l’impuissance du protagoniste. Pour clore l’anthologie, Jeff Noon nous propose un texte court mais intriguant, aux consonances poétiques et entêtantes.
 
Au final, cette anthologie se montre assez pléthorique en terme de sujet abordés : vie privée, rapport à la technologie, déviances, contrôle mental, gestion des masses, flicage permanent ou encore  surveillance « préventive » sont de la partie. On regrettera seulement le traitement inégal qu’il est fait de ces sujets. Malgré tout, Ceux qui nous veulent du bien se révèle être une bonne piqure de rappel vis-à-vis des dangers qui nous guettent.

dimanche 21 août 2011

Le Monde inverti - Christopher Priest

Jusqu’ici je n’avais pas encore lu Christopher Priest ni son Monde inverti ; un tort certain désormais réparé au vu du talent de Priest à incorporer des concepts mathématiques à ses histoires, du moins ici.


La crèche ne sera bientôt plus qu’un simple souvenir pour Helward, il a atteint l’âge de mille kilomètres. Pour devenir membre à part entière de la guilde du Futur, il doit avant tout faire son apprentissage dans les autres guildes de la ville. Cependant Helward apparaît comme un privilégié aux yeux de Victoria, sa fiancée, consciente des droits qui lui sont refusés. En effet, seuls les membres des guildes peuvent explorer l’extérieur de la ville, cité en perpétuelle mouvance. Pour en comprendre la raison d’être, Helward ne pourra compter que sur lui-même, percer par lui-même la nature de son monde.
 
Le roman pourrait se présenter de prime abord comme un roman initiatique, où l’on suivrait l’évolution d’Helward depuis sa sortie de la crèche jusqu’à son accession au titre de membre de la guilde du futur. C’est un peu l’impression qui prédomine lors des cent premières pages, qui exposent tout ce monde étrange de la cité. Nous sommes alors comme Helward, essayant de comprendre ce monde qu’on le laisse découvrir plus qu’on ne le lui explique. Son affectation à la pose des rails de la ville suscitera bien des questions chez lui comme chez le lecteur, on s’interroge sur la raison impérieuse qui pousse la cité à se mouvoir sans cesse et sur cette énigme qu’est l’optimum. Il n’est pas le seul à s’interroger, les habitants de la cité, en dépit du secret qui règne sur l’extérieur, constatent ce déplacement perpétuel. Victoria, la femme d’Helward, incarne ainsi cette population intriguée et frustrée de se voir maintenue dans l’ignorance. Le parallèle avec le secret d’état et sa nécessité transparait également, sans que soit vraiment creusé le sujet. Sa levée s’effectue par la force des événements, Priest évite ainsi de trop disserter sur son bienfondé, malgré la défense qu’en prend Helward. Il se dégage ainsi du récit une légère dimension sociologique, et les bouleversements des rapports de force sont également traités avec parcimonie.
 
L’univers se dévoile évidemment au fur et à mesure, mais on ne peut qu’être fasciné par les explications de Priest au sujet de ce monde inverti qui nous est présenté, au postulat incongru mais pensé dans ses moindres détails. J’étais loin d’imaginer avec autant de facilité que l’auteur ce qu’il nous réservait, et j’optais beaucoup plus pour une explication imagée de l’effet Doppler ou encore du Big Bang, ce qui s’avéra totalement erroné. Non, vous serez surpris quoiqu’il advienne, tout simplement parce que Le Monde inverti n’est pas l’illustration d’une quelconque théorie, mais bien une création originale. On se doute cependant qu’il se cache derrière tout ceci la perception de la réalité, quelques maigres indices le laissent supposer. La fin semble cependant faire débat, quelques uns trouvant qu’elle repousse d’un revers de manche les questions posées, Priest n’assumant pas entièrement la trame développée et souhaitant s’en débarrasser d’un revers de manche ; je trouve au contraire que la reconnexion s’effectue logiquement, en raison des indices évoqués. On discerne même une morale, certes légère, mais qui s’inscrit naturellement et dans un cadre plus général que celui du roman.
 
Si le concept de base et son développement sont assez bien trouvés, je reproche cependant à Priest de trainer parfois en longueur, ou de ne pas explorer un peu plus ses personnages et les relations de pouvoir ; j’aurais aimé en découvrir encore plus sur la ville et ses mœurs. Mais bon, je suis un éternel insatisfait, et le concept est tout simplement génial en dépit d’une ou deux notions de physique qui m’auront contraint à m’accrocher un peu au moment des explications jouissives (oui, je commence à rouiller dans le domaine).
 
 
A voir aussi chez Alice, Guillaume, Efelle.

samedi 20 août 2011

Le Maître du Haut Château - Philip K. Dick

Je continue à rattraper mon retard sur Philip Dick avec un autre de ses livres à succès, Le Maître du Haut Château. J’ai eu l’insigne audace de baser mon choix sur la réputation du roman, sans m’intéresser grandement à son contenu, ni même de prendre la peine de zieuter le quatrième de couverture, et c’est pourquoi j’ai eu la surprise d’aborder une uchronie au lieu des divagations palpitantes entre les couches de réalité. Je pense bien que c’est le premier ouvrage du genre que je lis, toujours est-il que conjecturer sur les aléas de l’orientation de l’Histoire me parait être une tâche inutile. Mais il est bien connu que seuls les imbéciles ne changent pas d’avis, et c’est pourquoi mon jugement se voit légèrement infléchi au sortir de ma lecture.

 
Les Alliés ont perdu la Seconde Guerre Mondiale, ce sont les japonais et les nazis qui émergent en tant que grands vainqueurs. Le monde est désormais bipolaire, de même que les Etats-Unis, occupés à l’Est par les nazis et à l’Ouest par les Japonais. En territoire nippon la situation est revenue à la normale, la paix et la prospérité règnent de nouveau. Un des apports majeurs des conquérants aux Etats-Unis est le Yi-King, livre cinq fois millénaire qui contenant la sagesse des anciens. Leur passion pour l’art américain du passé se développe également, permettant à des marchands comme Robert Childan d’en faire profession. Mais les faussaires ont eux aussi saisi leur chance, ils se mettent à envahir discrètement ce marché lucratif auquel certaines entreprises participent. C’est le cas de Frank Frink, qui se voit contraint du jour au lendemain de se lancer dans sa propre affaire de bijouterie en compagnie d’un collègue de travail (Dick a, pendant un temps, assisté sa femme qui tenait une bijouterie). Cependant, son statut de juif ne le met pas à l’abri des rafles nazies, en dépit de sa domiciliation en territoire nippon.
 
Cela préoccupe parfois sa femme, Juliana, qui ne peut toutefois rien y faire puisqu’elle-même est partie vivre recluse dans une lointaine bourgade. Il y rencontrera Joe, un ancien combattant italien, qui l’emmènera voyager jusqu’à Denver et l’amener devant l’homme du haut château, l’écrivain d’un livre interdit relatant la défaite de l’Axe et imaginant ses conséquences. Et puis il y a Mr Tagomi, directeur d’une des missions commerciales japonaises, confronté à cet énigmatique Mr Baynes qui attend dans l’impatience l’arrivée d’une tierce personne.
 
Si le résumé vous apparait confus c’est logique : Dick a construit ici un ouvrage très décousu du point de vue de la narration, chaque personnage vit sa vie sans dépendre des autres ; leurs destins ne se mêleront pas,  même lorsqu’on s’attend à une bifurcation du récit qui les réunirait. On alterne donc énormément entre les lieux et les situations, mais les multiples césures ne dérangent point. Loin de déranger, la multiplication des histoires permet à Dick d’élaborer posément son uchronie, de la rendre vivante et d’expliquer les contours de ce monde. Il expose avec assurance les déviances survenues et leurs conséquences, sans jamais noyer le lecteur sous une avalanche d’informations. On apprend ainsi la rivalité entre les deux blocs vainqueurs, qui n’est pas sans rappeler la situation d’après-guerre (le roman a été écrit en 1962), à la différence près que l’écart technologique est ici plus flagrant ; les nazis ont débuté la colonisation spatiale, tandis que les japonais n’ont pas encore acquit les méthodes idoines.
 
Dick nous renvoie à la réalité d’une manière encore plus subtile, par le truchement d’un livre prohibé en territoire nazi, La Sauterelle pèse lourd,  une uchronie qui relate une situation géopolitique bien plus proche de la nôtre. Cette mise en abyme magistrale permet à l’auteur de disserter sur le statut de l’uchronie, subtilement, éclairant son œuvre et ses motivations par le biais de l’écrivain fictif, auquel on se retrouve confronté à la fin, et qui nous enjoint à relire plus attentivement ces 300 pages. Car si Philip Dick remodèle le monde, c’est pour parler plus librement du sien, du « réel », si tant est qu’un terme tel que celui-ci soit applicable dans sa globalité à cet écrivain. Le Maître du Haut Château, en s’intéressant à la personne de Robert Childan, acquiert par moments une dimension sociologique. On constate en effet les conséquences de l’occupation japonaise sur le sol américain, l’importation de certaines coutumes et le ressenti des américains envers ces envahisseurs.
 
C’est pourquoi le Yi-King, le livre millénaire auquel se réfère pratiquement tout un chacun, est si souvent évoqué. Ce n’est pas seulement une victoire militaire, c’est aussi une invasion culturelle, où chacun, américain de souche ou émigré européen, s’en remet aux « préceptes des anciens » en territoire nippon. Le tao sera également la porte d’entrée d’un discours sur l’art contemporain, ce qu’il est et ce qu’il apporte.
 
On notera également un discours très peu manichéen, en général relevé,  en provenance des nazis ou de leurs défenseurs. Il semble cependant que l’ouvrage mérite une relecture, Dick spécifiant, comme je l’ai dit juste au-dessus, que son ouvrage s’inscrit dans son temps.
 
  C’est donc un ouvrage diablement intelligent que nous livre Philip Dick, d’une rare subtilité, et récompensé par le prestigieux prix Hugo en 1963. Néanmoins la plus grande partie de l’ouvrage n’a pas réussi à m’intéresser totalement, la critique envers les nazis n’étant pas ma tasse de thé. Il est donc probable que j’aie loupé quelques morceaux du début, ce qu’une relecture future m’offrira la possibilité de rectifier.

De l’autre côté du miroir - Lewis Carroll

Après  Alice au pays des merveilles, je récidive dans ma découverte de l’œuvre de Lewis Carroll avec De l’autre côté du miroir, suite officieuse de son aîné, éclipsée de manière tout aussi injuste par ce même aîné en regard de sa qualité. En effet, il est à noter que si personne ou presque n’ignore l’existence d’Alice au pays des merveilles, peu de monde en revanche est au fait de l’existence de sa suite, ne serait-ce que de nom. Et c’est bien dommage car, autant l’avouer d’entrée, j’ai préféré De l’autre côté du miroir aux premières aventures de l’héroïne.

Lors d’une après-midi ennuyeuse, Alice se met à rêver d’un autre monde qui se trouverait de l’autre côté du miroir du salon. Tandis qu’elle se perd en conjectures sur ce monde étranger, le miroir se transforme en brume, lui permettant de franchir allègrement la frontière. Une vue d’ensemble lui permettra de découvrir la nature de cet univers, un échiquier géant composé de cases de terrain sur lequel se déroule une partie d’échecs. Avec l’approbation de la Reine Rouge, Alice prendra part à la dite partie, incarnant par là même un pion chargé d’atteindre l’ultime case de sa colonne, accédant ainsi au couronnement. Cependant le périple ne sera pas de tout repos, Alice sera confrontée aux bizarreries de cet univers loufoque dont les règles lui échappent définitivement.
 
Une fois encore, tout est prétexte à Lewis Carroll pour donner libre cours à son imagination ; le postulat n’est qu’une vague excuse pour nous emmener à la découverte de ce monde farfelu où la logique déraille. On sera dès lors confronté à moult phénomènes défiant le bon sens, comme des fleurs qui parlent, des articles de magasin qui s’enfuient ou encore un œuf gigantesque, et la liste est loin d’être exhaustive ; ceci n’est qu’un vulgaire catalogue réduit du non-sens mirliflore qui s’étale dans ce livre. De cet absurde souffle un vent de fraîcheur réconfortant, les trouvailles sont si simples qu’elles nous enveloppent dans un cocon enfantin et naïf qu’on ne quitte qu’au réveil d’Alice.
 
Le personnage d’Alice évolue également. Si l’on retrouve la gamine du volet précédent, elle semble avoir (très) légèrement mûri tout en conservant son âme d’enfant. Ce changement semble trahir avant tout le comportement de la muse de Carroll, qui, ne l’oublions pas, a grandi entre les aventures du pays des merveilles et celles-ci. Elle expérimente ainsi la frustration, à de nombreuses reprises, et ne réagit plus si sottement qu’auparavant, ce qui ne manquera pas d’en réconforter plus d’un. Le personnage d’Alice est aussi une invitation à la rêverie, à l’exploration de territoires inconnus, c’est d’elle que naît le désir d’évasion, c’est elle qui insistera pour continuer ce voyage absurde en dépit des obstacles. Dès l’entame, avant même de traverser le miroir, on voit Alice inventer des histoires abracadabrantes en compagnie de ses chats, l’enfant est le siège de la rêverie et, contrairement à ce qu’opposera plus tard la Reine Rouge, les enfants ne sont pas faits pour « raconter des choses » [sensées], ce livre en est bien la preuve.
 
Du côté formel, on trouvera quelques situations fortement cocasses et dénuées du moindre sens, et l’humour percutant se joue avec brio de la langue anglaise (soulignons à cet effet le travail sur la traduction française, obligée de réinventer certains passages pour coller à l’humour carrollien). On rencontrera beaucoup de monde en chemin, de manière toujours effrénée il arrive que l’on passe littéralement sans transition d’une scène à une autre, Alice se retrouvant de manière inconnue à un endroit différent. Les poèmes et les chants sont également de la partie, mais se montrent moins envahissants que dans l’opus précédent, ce qui n’est pas sans effet sur mon ressenti global, bien que ces derniers m’apparaissent plus sympathiques.
 
Somme toute, c’est un excellent conte que voici. Plus enchanteur que son aîné d’après moi, c’est incontestablement un livre à côté duquel ne pas passer, d’autant plus que le récit est, là encore, (trop) rapidement expédié.

vendredi 19 août 2011

Mission to Mars

La boisson c’est mal, les amis, ce vice peut vous pousser à commettre des actes d’une stupidité insensée, comme insérer la galette de Mission to Mars dans votre lecteur DVD en y recherchant un moyen de combler vos lacunes en matière de SF, de même qu’un divertissement sympathique. C’est vrai, j’étais en quête d’un film grand public, pas prise de tête mais pas neuneu non plus, et voilà que j’exhume le boitier de ce film et que l’idée parait bonne. Sur le moment.



Nous sommes en 2020. La première expédition scientifique habitée à destination de Mars est sur le point de partir. Quatre membres seulement composent l’équipage. Une fois sur Mars, ils déclencheront à leur insu un cataclysme qui leur sera fatal. Sur la Station Internationale, Jim McConnell, écarté du programme en raison de la mort de sa femme, fait pression sur son supérieur afin d’organiser une mission de secours. Woody, désigné pour être le chef de cette mission, insistera à son tour pour que Jim soit de la partie. Le sauvetage peut alors commencer…
 
Mission to Mars est un film qui met l’accent sur la dimension humaine, qui s’attarde sur les états d’âme et de conscience des protagonistes. Cette formulation inclinerait à penser les rôles fouillés et attachants, mais la pratique s’éloigne largement de cette vision. Car si mon état euphorique aura pu altérer les faits durant la première partie, l’accroissement de la lucidité met en exergue la naïveté et la niaiserie de ces pseudo-sentiments, rend pénible ce qui était distrayant, voire touchant. Ainsi nous aurons droit à une gentille histoire d’amour entre ces éminents scientifiques, la crème de l’élite scientifique (et pour être tarte, ça l’est), qui iront jusqu’à se bécoter et même à danser en apesanteur. Les bons sentiments transpirent, dégoulinent de l’écran, et j’ai même eu peur qu’ils n’aillent griller mon PC. Autant dire que je m’en serais voulu. Le problème se montre plus gênant lorsque cette mièvrerie s’écarte de l’intimité pour s’immiscer directement dans l’intrigue, tentant de soutirer quelques larmes grossières au spectateur ému par tant de bravoure et d’amour déployés, ou bien de saluer le talent incommensurable du génie de la troupe, décidément le seul à pouvoir rétablir la situation.
 
Quant au scénario, une histoire simple, honnête, mêlant action et suspens m’aurait sur le champ contenté. Mais faut-il encore ne pas me prendre pour un con, ou du moins se montrer plus subtil envers l’amateur de SF que je suis. Bien trop de détails douteux jettent le discrédit sur ce film, comme l’allure peu bureaucratique du pouvoir décisionnaire, une vision beaucoup trop amicale et chaleureuse qui vient contredire l’image du monolithe complexe de l’appareil administratif. Sur un plan scientifique maintenant, on s’interrogera sur le moyen d’élaboration d’une serre artificielle sur Mars, par un homme seul et affaibli, dans les conditions exposées, sans compter la prolifération remarquable des plantes. Evoquons également la clé du mystère, une aberration monstrueuse au point de vue scientifique que toute personne douée de bon sens pourrait aisément réfuter. Le comportement déroutant des scientifiques est là encore irritant, puisque ces derniers ressemblent davantage à des explorateurs intrépides qu’à des chercheurs sérieux et diplômés, privilégiant l’action irréfléchie à la réflexion, et négligeant les interrogations fondamentales qui n’auraient manqué d’être soulevées dans toute production rigoureuse.
 
Il faut également compter avec les multiples scènes à rallonge, cache-misère avéré qu'on ne présente olus, un jeu d’acteur bancal, et une bande son décevante malgré le talent reconnu d’Ennio Morricone, à l’exception du passage de la réparation du vaisseau qui ose une composition alternative aux situations d’urgence.
 
Bref, peu de choses à sauver dans ce long-métrage, voire pas du tout, d’autant plus que la rigueur scientifique est la grande absente dans un cadre où l’on fait appel à la science. Et à moins que vous ne soyez un fervent patriote des USA pour vous coltiner les passages héroïques d'une nation conquérante, il y a des chances pour que ce film vous reste sur l’estomac.
 
 
A ne pas voir non plus chez Spooky

jeudi 18 août 2011

L'Etoile et le fouet - Frank Herbert

Que ceux qui ne connaissent pas Frank Herbert se désignent. Que ceux qui ne connaissent pas son cycle de Dune se flagellent. Et que ceux qui n’ont pas connaissance de L’Etoile et le fouet lisent mon article, cette dernière option demeurant le meilleur moyen d’en apprendre davantage sur l’ouvrage.

 
Sur la planète Cordialité, une boule calibane s’est échouée, abritant la dernière représentante de son espèce. Les calibans ont apporté avec eux, il y a dix neuf ans de cela, la technologie S’œil, permettant de se téléporter immédiatement d’un bout à l’autre de l’univers. Mais depuis quelques temps la technologie déraille, les bienfaiteurs disparaissent, entrainant d’innombrables morts et cas de folie.  Saboteur extraordinaire, mandaté par le Bureau des Sabotages pour élucider ces disparitions inexorables, Jorj X. McKye se verra confier la mission d’approcher la calibane affirmant se prénommer Fanny Mae. Mais Il s’apercevra que sa mission dépassera le cadre de ses fonctions, qu’il lui faudra sauver la calibane pour sauver l’humanité et les autres espèces co-sentientes.
 
La survie de l’humanité semble être une constante chez Herbert ; déjà présente dans Dune, on la retrouve une fois encore dans L’Etoile et le fouet, avec cependant quelques variations : ce n’est pas un homme seul, isolé, bénéficiant de pouvoirs inaccessibles au commun des mortels qui porte cette charge digne d’Atlas, mais un homme commun, lambda, sans distinction particulière, en l’occurrence Jorj X. McKye. Et sa tâche n’est pas des plus aisées, car si le contact avec la calibane ne présente pas de difficulté particulière, c’est la communication qui fera défaut. On assiste dès lors à des échanges abscons, où la calibane s’exprime dans un amphigouri relevé, que le lecteur comme le héros aura bien du mal à déchiffrer. A l’instar de McKye, on croit saisir vaguement le sens caché de ces paroles énigmatiques, mais de suite après les cartes se brouillent de nouveau et l’on retombe dans un état de perplexité qui nous fait revenir sur les dialogues précédents pour espérer, vainement, en dégager la signification.
 
Ce procédé n’est évidemment pas innocent de la part d’Herbert, il met en exergue les problèmes de communication inter-espèces, basés sur des incompréhensions sémantiques, des paradigmes divergents, mais aussi sur la base émotive des individus. Un des ressorts de la trame illustre fortement, lourdement presque, l’épineux problème lié à la mécompréhension des termes employés, utilisés pour définir ce que sont les conjonctions. Il n’est donc pas uniquement question de relation inter-espèces, la base lexicale, commune à chaque participant d’une conversation, est également traitée ici.
 
Néanmoins, l’ouvrage a beau proposer une histoire intéressante, sans grosses ficelles, il pêche quelquefois au niveau démonstratif, propose quelques interprétations un peu trop absconses pour me convaincre parfaitement. En excluant les propos de la Calibane, j’ai par moments été largué par le propos explicatif de Herbert, comme lorsque le scientifique décrit ses errements dans le monde sous-jacent, ou quand il déballe sa théorie sur les vortex S’œil.
 
Bref, L’Etoile et le fouet s’inscrit dans une démarche intéressante et primordiale en SF et surtout dans le space-opera, met en lumière les phénomènes susceptibles de porter atteinte à la compréhension réciproque lors de discussions entre deux formes de vies intelligentes aux perceptions totalement différentes. On pourra regretter que le propos ne soit pas plus explicite par moments, mais c’est au final un court roman suffisamment intéressant qui est livré ici.
 
 

mercredi 17 août 2011

Oussama - Norman Spinrad

Désireux d’explorer plus en avant l’uchronie, mais poussé de facto par ma participation au challenge Winter Time Travel organisé par Lhisbei, c’est presque naturellement que je me suis rué sur le dernier né de Norman Spinrad, Oussama, qui me faisait de l’œil avec insistance depuis quelques temps. Il semble cependant que l’uchronie ne soit pas ici clairement établie, le point de divergence vis-à-vis de l’Histoire n’étant pas mentionné ; le futur fictif qui sert de cadre au roman prend vraisemblablement ses racines dans des événements antérieurs à notre époque, tels que le 11 Septembre, pour les prolonger au-delà. Je ne peux cependant me répandre qu’en ces quelques conjectures, le livre m’étant tombé des mains après 250 pages.


L’ouvrage se présente sous la forme de mémoires, rédigées par un certain Oussama, dont le prénom doit sa provenance à Oussama Ben Laden et aux fils d’Oussama, une organisation qui est parvenue à recomposer en partie le Califat, conglomérat de pays d’obédience musulmane au gouvernement commun. Originaire du Califat, Oussama est envoyé en France, en qualité d’agent secret, chargé d’une mission sans but précis : s’intégrer à la société française sans bien sûr que ne soit découverte sa réelle appartenance. Isolé du reste du monde dans son enfance et son adolescence, très peu au fait des mœurs occidentales malgré les films hollywoodiens piratés, le jeune agent secret, de vingt ans à peine, se heurtera de front aux coutumes de la capitale, et sera plus encore déstabilisé au contact de son chef de cellule, rompant d’après lui avec les préceptes de l’Islam. Mais rapidement, il prendra conscience des profondes divergences entre ce qui lui a été inculqué dans un environnement hermétique, et les aspirations des musulmans étrangers au Califat.
 
Puis, devenant malgré lui chef d’un gang local, il sera par la suite d’une opération couronnée d’insuccès obligé de quitter Paris et dissimuler son identité pour préserver sa vie menacée par ses chefs eux-mêmes. Ce périple le mènera sur la voie du saint pèlerinage, le hadj, qui affermira sa volonté de djihadiste. Il passera ainsi de la Mecque au Nigéria, livrer bataille au Grand Satan, lequel soutient une peuplade locale dans un intérêt que l’on devine être lié au pétrole.
 
Vous l’avez certainement compris, Oussama n’est pas un roman que l’on pourrait taxer de conventionnel. En effet, Norman Spinrad aborde ici un sujet rarement abordé, voire pas du tout, celui du terrorisme. Cependant l’auteur ne n’y essaie pas n’importe comment, et ose décrire de l’intérieur, presque de manière intime, l’élaboration d’une cellule terroriste et la formation de la réputation d’une légende clandestine. Cette trame principale est également l’axe qu’emprunte Spinrad pour placer ses piques envers le sectarisme religieux, les déclarations politiques, et une critique non voilée (pourtant impudique dans ce contexte) des agissements occidentaux, notamment américains. Si l’initiative, anticonformiste, est à saluer, la réalisation se montre à mon goût bien trop décevante sur de nombreux points, au point qu’il m’aura fallu stopper en plein milieu de l’ouvrage. Etant donné le peu de bien que j’ai à dire de l’ouvrage, je me permets de commencer par les aspects positifs.
 
Si je dois retenir un élément marquant d’Oussama, c’est bien l’hétérogénéité du monde musulman, qu’il n’y a pas qu’un Islam, imposé par les autorités théologiques, mais bien divers courants qui se heurtent brutalement. Loin du front uni et sanguinaire que les médias bâtissent, on s’aperçoit d’autant plus que l’Islam n’est pas cette croyance fanatique, apostolique, que l’on assimile malgré nous devant les parodies de journaux télévisés. Tout comme les chrétiens possèdent leurs propres divergences, citons en vrac les catholiques, orthodoxes, luthériens et calvinistes, il existe diverses interprétations de l’Islam, et d’autant plus tolérantes qu’elles s’éloignent d’une autorité religieuse. Le pèlerinage à La Mecque se montre à ce sujet riche d’enseignements, et délivre un réel message de paix ; il permet également d’approfondir la connaissance de ce rituel, que tout musulman est censé accomplir une fois dans sa vie ; le hadj apparait comme un instant unifiant tous les musulmans. Passage cependant à double tranchant, car Spinrad semble insinuer, lors de l’épisode au Jamarat, que ce rituel peut, si ce n’est conduire, du moins conforter dans l’intolérance menant sur le chemin du djihad dans l’effervescence du moment. L’interrogation sur la nature du djihad et sur l’ennemi à combattre ne manque pas non plus d’intérêt, mais là encore il fut trop peu dit pour que je persévère dans ces questionnements.
 
Voici donc ce pourquoi je ne regrette pas avoir lu ce roman. Passons maintenant aux points qui fâchent. Ce qui d’emblée m’a choqué fut la prose de Spinrad. Mauvaise traduction ou plus simplement mauvaise inspiration, j’ai trouvé l’écriture juste imbuvable. La combinaison du passé composé avec l’imparfait m’avait pour cette raison fait rejeter Spin, mais on est de surcroit soumis à une écriture dépourvue de tout rythme. En plus d’abandonner tout lyrisme, la plume se montre molle et langoureuse, et il devient difficile d’accrocher par ce biais à la trame. Cette dernière aussi se montre peu pêchue, faisant preuve d’une linéarité soporifique. D’un bout à l’autre de ma lecture, j’ai eu l’impression d’être trimballé au gré d’événements sans accrocs, sans tension, et même les batailles n’ont pu me tirer de ma torpeur. A propos, il convient de souligner le plan très candide d’Oussama, qui malgré la masse de personnes mobilisées s’effectue dans la perfection la plus totale. On sent une certaine faiblesse sur ce point, car le retournement d’opinion, sur lequel repose l’exécution de ce plan, est détaillé très succinctement alors qu’on en attendait plus. Sur la gestion de l’histoire, il ressort au final une impression paradoxale : celle d’assister à des longueurs tout en se voyant sevré d’explications désirées.
 
La psychologie des personnages aura également eu un impact important sur mon ressenti, car du début à la fin il m’aura semblé être confronté à des coquilles creuses, tant chez les acteurs externes que chez le héros, en dépit même de l’écriture à la première personne ! Derrière ces façades se dissimule en réalité la volonté de l’auteur de montrer ses personnages subissant les événements plutôt qu’ayant prise sur eux ; mais hélas ! cette accentuation s’effectue au détriment du lecteur, qui ne voit face à lui que morosité céphalique. On pestera également contre le nivellement par le bas, consistant à faire paraitre les acteurs moins intelligents que le héros afin de le glorifier plus aisément.
 
Au final, Oussama ne m’aura pas convaincu, et je trouve assez dommageable que ces points formels m’aient rebuté à ce point car je suis sûr que le reste de l’ouvrage avait encore à m’offrir. Cependant à ce stade je reste tout de même sur ma faim en ce qui concerne la critique des puissances occidentales, les attaques n’étant que de simples piques sans réelle consistance, ou alors rabâchées comme la guerre  au Nigéria faisant écho aux deux guerres en Irak. Il manque aussi un certain approfondissement dans l’étude de l’engrenage terroriste, de même que l’interrogation sur les délimitations du stade de terrorisme.
 
 
Norman Spinrad, Fayard, 2010, 480 pages